Reprise à Limoges, après Rouen notamment, de La Cenerentola mise en scène par Sandrine Anglade avec une distribution prouvant, s’il était nécessaire, que la capitale du Limousin fait aujourd’hui partie des bastions lyriques à ne pas négliger.
En tête d’affiche, Florian Sempey, Barbier de Séville dès 2012 à Bordeaux, ajoute à son palmarès le rôle de Dandini. Décidément à l’aise dans le répertoire rossinien, le baryton bordelais a tôt fait d’emplir le plateau de sa présence truculente et de sa voix sonore. Prince ou bouffon ? Les deux précisément ce qui n’est pas la moindre difficulté d’un rôle délicat car placé en équilibre entre serio et buffo. Florian Sempey est noble lorsqu’il lui faut dérouler la phrase sur le souffle dans la plus pure tradition belcantiste, comique dès que se succèdent sans bavure et à deux cent à l’heure des vocalises en rafale. Flamboyant, fanfaron aussi mais sans contresens, il est surtout doté de suffisamment d’autodérision pour assumer les ridicules d’une situation qui l’oblige à contrefaire avec brio l’orgueil du maître et la rouerie du valet. Quoi d’étonnant à ce que les autres interprètes règlent leur pas sur le sien, non dans une volonté de surenchère, qui s’avérerait lassante à la longue, mais dans une recherche de complémentarité nécessaire à l’équilibre de la représentation.
© Julien Dodinet
Pris dans ce tourbillon d’énergie, tous tentent de se surpasser : Julie Boulianne, Cenerentola à la modestie discrètement triomphante, trop souvent en retrait y compris dans les ensembles, agile cependant, douée de couleurs et d’un trille que beaucoup auraient raison d’imiter ; Juan José de Léon, freiné dans son interprétation par une timidité que l’on met sur le compte de la jeunesse, fâché parfois avec la mesure, calibré pourtant à l’exact format de Ramiro, l’émission haute, souple, le chant nuancée, l’aigu soudain percutant comme si, dans un sursaut de fierté, il prenait conscience de son titre princier ; Marco Filippo Romano, de plus en plus libéré au fur et à mesure que Don Magnifico repousse les limites de la vanité, non seulement rompu au chant syllabique – la première des exigences du rôle – mais également pitre – ce qui est aussi indispensable –, drôle à se faire bidonner la salle lorsqu’en falsetto, il contrefait les rombières ; Gabriele Sagono aux prises avec l’ambiguïté d’Alidoro, promu basse seria le temps d’une aria redoutable (« Là del ciel nell’arcano profondo ») dont il s’acquitte sans démériter, dût le métal de la voix soumis à rude épreuve par une écriture oscillant sans répit du grave à l’aigu, perdre de son éclat ; Jennifer Michel et Catherine Trottmann enfin, Clorinda et Tisbé piaillantes, piaffantes, sottes, garces et insupportables, comme on les aime.
En cette matinée de première, Antonello Allemandi donne les derniers coups de vis à une mécanique rossinienne implacable. Semiseria conformément au genre de l’œuvre, sa direction sait passer du rire sinon aux larmes, du moins à ces élans de tendresse qui ombrent délicatement les contours de la partition. L’orchestre et les chœurs – uniquement masculins – répondent à ses sollicitations, avec plus d’empressement côté cordes et basses que côté cuivres et ténors.
Sandrine Anglade évite la chausse-trape d’une lecture trop appuyée, piège dans lequel tombent souvent les metteurs en scène dès qu’il s’agit de représenter des ouvrages comiques de Rossini. Le décor, formé de six modules grillagés comme des confessionnaux, n’est pas des plus féeriques mais favorise en roulant les changements de tableaux. Les costumes colorés apportent leur touche de fantaisie. À défaut de poésie, le mouvement, parfaitement réglé, ne laisse au hasard aucun des ressorts du spectacle, chaleureusement applaudi au tomber de rideau.