Deux reines se sont fait face, lors du spectacle d’ouverture de la saison de l’Opéra de Madrid – le célèbre Teatro Real.
La première était dans sa grande loge : la reine Sophie d’Espagne, très applaudie lors de son arrivée, toujours très aimée malgré l’abdication de son mari Juan Carlos en faveur de son fils Felipe.
La seconde était sur scène : une reine du chant française, Karine Deshayes, incarnant ici le rôle de Cendrillon dans l’opéra La Cenerentola. Elle est devenue une spécialiste du répertoire rossinien. N’a-t-elle pas excellé cet été dans le rôle d’Elisabeth reine d’Angleterre à Pesaro ?
A Madrid, on l’a vue apparaître en scène sous l’allure d’une femme de ménage de notre époque, poussant devant elle un chariot de produits d’entretien. Et voilà que, soudain, descend des cintres un nuage sur lequel apparaît – on vous le donne en mille… – Rossini soi-même. Oui, Rossini tel qu’on le voit dans la célèbre photo de Carjat ! Il porte deux ailes d’ange dans le dos. Il va devenir le deus ex machina du spectacle, comme s’il recomposait sa partition devant nous sur la scène. Il précipite notre femme de ménage dans le XVIIIe. siècle, fait surgir autour d’elle deux sœurs acariâtres, un faux prince, un amant bouffon, un père putatif, bref tous les personnages de sa « Cenerentola ». Rossini pousse la perfidie jusqu’à se glisser lui-même dans le personnage de Don Magnifico – le maître des lieux. Tout cela se fait au milieu d’un réjouissant jeu de passe-passe imaginé par le metteur en scène Stefan Herheim. Celui-ci multiplie les trouvailles, les gags, vous transforme en un tournemain un palais royal en taudis, métamorphose en carrosse le chariot de la femme de ménage, donne aux choristes l’apparence de clones de Rossini. Cette mise en scène, déjà présentée à l’opéra de Lyon est un tour de force et un régal.
Rossini sur son nuage (photo Opéra de Madrid)
Dommage que, côté fosse, l’orchestre n’ait pas eu le même brio ! Il faut regretter sa lourdeur ainsi que les décalages apparus avec les chanteurs dans certains passages rapides.
Autour de la reine Deshayes, on a droit en Dmitry Korchak, à un vrai ténor rossinien, dardant ses aigus comme autant de flèches acérées. Le baryton-basse bouffe Renato Girolami, énorme de drôlerie et de voix sombre, est un Magnifico qui mérite bien son nom.
Le baryton français Florian Sempey poursuit sa belle carrière internationale en se surpassant dans les passages virtuoses.
Dans la même tessiture, Roberto Tagliavini fait superbement résonner sa voix.
De leur côté, les deux sœurs de Cendrillon, Rocio Pérez et Caroline Garcia, apparaissent moins à l’aise dans les solos que dans les duos.
A la fin, la boucle est bouclée. Rossini est à nouveau sur son petit nuage. Et le public aussi.