Dans le rôle titre de La Cenerentola, la mezzo russe, Victoria Yarovaya, n’en est pas à son coup d’essai. Moscou l’a déjà acclamée dans une production clinquante et, la saison dernière, sa prestation dans la présente mise en scène au Scottish Opera de Glasgow lui a valu l’enthousiasme de la critique.
Certes, il est des cantatrices aux capacités vocales encore plus brillantes, mais le chant de Yarovaya fait ressentir de manière pudique et délicate toutes les facettes de Cenerentola alias Angelina : générosité, fraîcheur, sincérité, modestie, patience d’ange. Lors de son apparition sur scène le soir de cette première à Rouen, sa présence discrète voire un peu gauche dans son humble costume de servante corvéable à merci, contraste avec l’agitation de deux sœurs crâneuses dans leurs tenues de gymnastique. Chanté d’une voix suave aux couleurs pastel, sachant s’assombrir en douceur, son air d’entrée « Una volta c’era un Re » est loin de laisser présager le feu d’artifices qu’elle nous offrira dans le célèbre rondo final.
Sage, la production de Sandrine Anglade se laisse regarder sans déplaisir. Le dispositif scénique est composé de six hautes cabines pivotantes avec portes grillagées en bois qui ressemblent bizarrement à des confessionnaux… Grâce à elles, les entrées et sorties des différents personnages peuvent se dérouler de manière fluide, tant dans la maison de Don Magnifico que dans le palais princier. Ce décor quelque peu austère, Claude Chestier réussit à l’égayer avec des costumes postmodernes de couleurs vives, mis en valeur par de beaux éclairages. Vêtu de fracs gris perle agrémentés de collerettes blanches lumineuses, le chœur des gentilshommes est chargé d’assurer le côté féérique de l’œuvre. Au moment où l’orage éclate et provoque concrètement le coup de foudre entre les amoureux, les choristes se livrent à un gracieux ballet de parapluies façon comédie musicale des années 1950.
Sous la direction précise et nuancée d’Antonino Fogliani, l’orchestre et les chœurs apportent une valeureuse contribution à la réussite du spectacle en réalisant le meilleur équilibre sonore possible entre la fosse et la scène. Côté masculin, la distribution est dominée de loin par l’excellent Graeme Danby. Dans un costume rose bonbon fort réussi, cette basse bouffe britannique met sa verve comique au service d’un Don Magnifico d’une ahurissante vélocité ; chacune de ses interventions fait mouche.
Avec près de quinze ans de carrière comprenant une forte dose de belcanto, le ténor argentin Carlos Natale est actuellement membre de la compagnie de l’opéra de Rouen. Bien que son timbre manque de moelleux pour les caresses vocales, ce chanteur satisfait aisément les exigences du rôle de Ramiro. En revanche, la basse irlandaise, John Molloy qui séduit par sa voix chaude bien projetée et son élégance innée, manque de pratique du chant rossinien. Fort convaincant dans les récitatifs, son Alidoro se montre nettement insuffisant dans le redoutable « Là del ciel nell’arcano profondo ». Quant à Dandini, valet cabotin et rusé interprété par Aimery Lefèvre, il relève de l’erreur de distribution. Absence d’agilité et incapacité à exécuter correctement l’articulation syllabique indispensable. Malgré le soutien d’un Magnifico aguerri, l’extraordinaire duo comique « Un segreto d’importanza » passe hélas quasiment inaperçu lors de cette première représentation. Il ne reste qu’à espérer que le jeune baryton progressera au cours des suivantes.
Nonobstant. Le rouleau compresseur de la puissante et subtile mécanique rossinienne finira par l’emporter. La roue de la fortune a tourné ! À partir de l’extraordinaire sextuor électrisé par l’orchestre, suivi de l’air de Clorinda joliment chanté, puis de la joyeuse relance du chœur, tout s’aplanit afin que la bonté triomphe… Vient enfin le fameux « Nacqui all’affanno » que le public averti attend avec impatience. C’est alors que l’angélique Victoria Yarovaya, avec sa diction nette, son trille remarquable de légèreté, ses aigus dardés sinon solaires, frôle la perfection technique.