De l’Orfeo de Monteverdi entendu la veille en ouverture du festival d’Ambronay, le début de programme de ce samedi soir, placé sous le signe de la « cithare amoureuse » (La Cetra amorosa), reprend, dans une formation allégée, la Toccata et deux airs exprimant le bonheur d’Orphée transi d’amour, puis le souvenir maîtrisé de ses tourments (« Rosa del Ciel« et « Vi ricorda, o boschi ombrosi« ).
Philippe Jaroussky, passé maître dans l’art de chanter ces affects avec une forme de sobriété qui n’appartient qu’à lui, et avec toute l’apparence de la spontanéité, donne corps à ce paradoxe d’un baroque simple et naturel. La complicité qui le lie depuis dix ans à Christina Pluhar et son ensemble L’Arpeggiata procure à ce récital une fluidité qui semble aller de soi, la succession des airs ne ménageant d’autres pauses musicales que celles rendues nécessaires par le désir d’applaudir – et comment y résister ?
Ce n’est pourtant pas la recherche de l’effet qui caractérise le chant du contre-ténor ni le jeu des dix musiciens, théorbe de Christina Pluhar en tête, mais bien plutôt la quête de l’authenticité et le partage du plaisir de la musique. À cet égard, la Ciaconna de Cazzati est un moment de joie musicale qui suscite l’enthousiasme du public, sur des rythmes d’une inventivité et des timbres d’une originalité que l’on croirait d’une époque plus proche de nous que le lointain XVIIe siècle.
Les instrumentistes de l’Arpeggiata excellent dans cet exercice de jaillissement maîtrisé des sons tout autant que dans l’appui et le soulignement des arabesques vocales de Philippe Jaroussky, ou encore dans le dialogue intime avec le contre-ténor. Cette osmose fait tout le prix d’un tube comme « Si dolce e’l tormento », dont la mélodie reste longtemps dans l’oreille, et toute la splendeur de l’air d’Arnalta, « Oblivion soave », avec ses finales étirées qui semblent suspendre le temps.
S’il émeut durablement dans la plainte – toujours digne – et dans le soupir amoureux, Philippe Jaroussky convainc aussi dans le registre plus léger (« Damigella, tutta bella »), voire comique (« Che città »), sans jamais forcer le trait, avec une économie de gestes et d’inflexions qui sont la marque d’une interprétation subtile. Le magnifique Stabat mater de Sances qui clôt le programme est tout de ferveur retenue.
Ovationnés par le public, le chanteur et les musiciens proposent trois bis, qui permettent de retrouver successivement ferveur, émotion et amusement avec Monteverdi dans un Laudate dominum de belle facture, Purcell dans les adieux de Didon (« When I am laid in earth », un sommet de cette soirée), et, afin de ne pas terminer en larmes, le facétieux duo de la Ciaccona del Paradiso e del Inferno que Philippe Jaroussky interprète, lunettes noires comprises, en compagnie de Doron Sherwin, remarquable par ailleurs au cornet à bouquin.