Décidément il est des productions qui cumulent les handicaps et que l’on s’empresse d’oublier en dépit de performances vocales très honorables.
Dans cette reprise de La Traviata au Komische Oper Berlin, la scène, en l’absence de décor, ressemble plutôt à une piste aux étoiles – entièrement noire avec un sol miroitant – sur laquelle évoluent des personnages de fête foraine. Seule la présence de portes coulissantes, qui traversent le plateau comme des couperets, rythme les différents moments du drame. Les costumes et accessoires sont tantôt macabres (groupes de femmes enceintes endeuillées, de femmes automates couvertes de plaques de métal telles des Olympia échappées des Contes d’Hoffmann, berceau tendu de noir…), tantôt burlesques, notamment ceux des personnages secondaires : le docteur Grenvil porte un chapeau de clown et un manteau en moumoute blanche, le baron Douphol est enserré dans un carcan figurant le squelette d’un diplodocus, Flora Bervoix revêt un improbable costume d’Halloween… Il est clair que la mise en scène d’Hans Neuenfels nous fait perdre tout repère avec l’argument. L’idée de dépouiller ainsi La Traviata des clichés scénographiques traditionnels renforce la puissance d’évocation de sa musique et de son lyrisme. Cela pourrait être le cas si cette production ne se trouvait grevée par une autre inconvénient, celui d’être chantée en allemand.
On peut aussi voir ici l’apologie de la jalousie et de la rivalité amoureuse. Les comportements des personnages masculins, chargés de testostérone, prouvent leur volonté d’en découdre : gants jetés à la face, fleurs piétinées, combats à l’arme blanche. Les autres messages que véhicule l’œuvre sont également grossièrement évoqués au fil de la soirée : le sacrifice de l’héroïne est évident lorsque qu’elle pose sa tête sur un billot face à Germont père qui manipule une hache ; le père noie sa culpabilité dans l’alcool tout au long du IIIe acte.
Face à cette mascarade scénique totalement dépourvue d’empathie, Ivan Repušić dirige l’Orchestre du Komische Oper avec une grande véhémence, comme pour imposer l’œuvre. Le résultat n’est malheureusement pas à la hauteur de l’attente et se traduit trop souvent par des éclats tonitruants en décalage avec les nuances qui émaillent les lignes de chant.
Sur le plateau la soprano arménienne Liana Aleksanyan (Violetta Valéry) affiche une santé vocale insolente mais avec des aigus parfois criés. Timothy Richards paraît emprunté dans son personnage d’Alfredo et sa voix trop délicate manque de l’ampleur nécessaire au rôle. Georges Stevens campe un Germont idéal, son léger vibrato donnant une maturité réelle au personnage. Les rôles secondaires sont particulièrement percutants dans leurs courtes interventions.
Avec la reprise de cette mise en scène peu captivante, il n’est pas étonnant que la salle soit restée clairsemée.
Version recommandée :
Verdi : La Traviata (Intégrale) | Giuseppe Verdi par Georges Prêtre