« J’y mets le temps parce que je veux que l’œuvre dure » aurait dit Haydn au sujet de La Création. Maintes fois citée, cette phrase nous prouve que le compositeur avait vu juste ; mais elle nous rappelle aussi que pour durer une œuvre doit sans cesse être ravivée, ranimée par ses interprètes : c’est certes toujours la même histoire, mais jamais exactement la même manière de la raconter. Perpétuelle re-création, presque ritualisée, de l’œuvre de Haydn ; et mise en abyme d’un oratorio qui rejoue la Création elle-même.
C’est le chef hongrois Gábor Takacs-Nagy qui s’attelle à cette lourde tâche, à la tête du Verbier Festival Chamber Orchestra. Souriant, vif, et malgré une gestuelle extrêmement expressive, il peine à diriger les musiciens, souvent en retard et ne réagissant pas assez à ses indications dynamiques. Le son est alors assez lourd, notamment dans l’introduction. Les passages fortissimo fonctionnent bien, mais il nous manque la délicatesse propre au style de Haydn. Cela est d’autant plus problématique dans certains passages mimétiques : la clarinette et la flûte solo par exemple, dans l’air « Auf starkem fittische schwinget sich der Adler stolz », n’ont rien du vol grâcieux des oiseaux qu’ils sont censés illustrer. Les différents pupitres se révèlent inégaux, bien que menés par les violons qui proposent de beaux phrasés. On regrette enfin quelques accelerandos soudains et malvenus dans ce répertoire.
Le chef trouve en revanche des solistes de choix pour raconter la Création : Andreas Bauer en Raphaël ouvre l’oratorio d’une voix pleine et assurée. Si elle perd un peu en clarté dans l’aigu, elle n’en a pas moins une belle profondeur. La basse offre une grande autorité dans la narration, servie par une diction allemande impeccable : sobre, et efficace.
L’Uriel de Bernard Richter bénéficie d’un timbre lumineux et homogène qui pare la musique de Haydn d’une grande délicatesse et d’une forme de joie. L’air « Mit Würd und Hoheit angetan » constitue en ce sens un exemple d’élégance vocale.
La soprano Miah Persson possède sans aucun doute la voix et la prestance idéales pour cette œuvre. Elle dessine les phrases avec subtilité sans pour autant que le chant soit désincarné, grâce à une voix veloutée, autant dans les aigus que dans le bas-medium. On l’entend tout particulièrement dans le trio « Die Himmel erzählen die Ehre Gottes » où les voix se mêlent sans jamais se couvrir, et où le contrepoint permet de mettre chaque interprète tour à tour en valeur. Le Rias Kammerchor s’y révèle être plus que jamais un ensemble d’une homogénéité des pupitres remarquable, alliée à une grande précision dans l’articulation.
Peter Mattei quant à lui, bien connu du grand public, apparaît seulement dans la troisième partie de l’oratorio, dans le rôle d’Adam. La voix est éclatante, l’émission est libre et naturelle. Le baryton joue avec le texte, prend plaisir à le dire et varie les phrasés. Il apporte un surplus de vie et d’énergie à un ensemble jusque là assez sobre, et se révèle le vrai coup de cœur de la soirée. Les duos avec Miah Persson sont d’une grande tendresse et permettent aux voix des deux interprètes de s’épanouir pleinement.
Voilà donc une version vocalement formidable de l’œuvre de Haydn; mais l’orchestre l’a malheureusement rendue trop sage et trop pesante : plus terrestre que céleste.
Nous avions le verbe ; manquait le souffle.