La co[opera]tive, qui nous avait déjà régalé l’an passé d’une Petite Messe solennelle brillamment dépoussiérée, creuse ce sillon prometteur avec une Dame Blanche de haute volée, qui rend justice à la pièce d’origine en en retravaillant les éléments datés pour mieux en mettre en valeur les qualités. Succès considérable à sa création, l’opéra-comique de François-Adrien Boieldieu souffrait – comme c’est souvent le cas dans ce répertoire – de textes inadaptés au public contemporain. La réecriture de Pauline Noblecourt transforme ses passages parlés en éléments forts du récit, avec de nombreuses adresses au spectateur. Entre humour et second degré, celles-ci soulignent à plaisir combien le propos est cousu de fil blanc et partant, rappellent que le charme de la représentation est à trouver ailleurs de que dans la vraisemblance. Il faut dire que ce village entier luttant pour rendre le château à son aristocratique propriétaire au détriment de l’un des leurs a de quoi laisser dubitatif !
Le décor d’Irène Vignaud délaisse lui aussi fort heureusement le premier degré d’un Moyen Âge de carton-pâte au profit d’une scénographie de l’évocation, du jeu, du « on dirait qu’on serait dans un château » qui a le parfum de l’enfance.
© Remi Blasquez
A ces éléments modernisés répondent avec bonheur l’interprétation de l’Orchestre Les Siècles sur instruments d’époque. Si ce choix impacte la justesse, plus délicate à obtenir, l’oreille tolérante se trouve récompensée de couleurs chaudes, sensuelles et d’un régal de nuances.
La dimension visuelle du spectacle renforce quant à elle l’impression d’une fable délicieuse puisque le costume de chaque personnage évoque un animal. Le point de départ de la réflexion de la costumière, Cindy Lombardi, a sans doute été le titre de l’œuvre puisque la dame blanche est l’autre nom de la chouette effraie. Les paysans forment en toute logique un troupeau faunesque, référence à la fois à leur caractère grégaire et jouisseur. Ils revêtent des kilts puisque nous sommes dans l’Ecosse de fantaisie de Walter Scott. Le héros, quant à lui, se pare de plumes de coq, tout comme le chef d’orchestre, roi d’une musicale basse-cour. Le premier air de la vieille nourrice évoque ses fuseaux ; gardienne du château inhabité, elle se fait bien entendu aragne en sa toile tandis que le « méchant » de l’histoire évoque un somptueux scarabée. Le mélange d’éléments contemporains, de vêtements traditionnels, de plumes et de perruques transforme d’improbables associations en une épatante réussite.
A plumage réjouissant, ramage à l’avenant : le plateau scénique réunit des artistes formidables qui servent avec une jubilation manifeste la mise en scène enlevée de Louise Vignaud. Remarquable directrice d’acteurs, dotée d’un parfait sens du rythme, elle vient du monde du théâtre et fait ici incursion pour la première fois dans l’univers lyrique. Elle dessine chaque personnage de façon extrêmement précise, y compris les membres du chœur du Cortège d’Orphée, épatants vocalement et scéniquement. Ils nous offrent des réactions nuancées, cocasses et très humaines. Le groupe est mené par un couple de paysans enthousiasmants : La Jenny de Sandrine Buendia est un modèle de fantaisie, de joie de vivre, de précision comique et s’enorgueillit de piani délicats et de vocalises impeccables. Fabien Hyon lui donne la réplique avec allant, de sa projection brillante et de ses graves bien campés.
Le timbre plutôt clair des deux artistes est également celui de l’autre couple de la soirée ce qui crée une jolie unité et sert les ensembles parfaitement huilés qui parsèment la soirée.
Sahy Ratia brille tout particulièrement dans le rôle exigeant de Georges qui enchaîne les airs et les difficultés. Comme l’an passé dans la Petite Messe solennelle, son timbre si rossinien enchante, tandis que le naturel de l’émission comme de l’incarnation scénique enthousiasment. Son rival, Yannis François, est quant à lui un formidable comédien à la basse d’une belle verticalité.
Pour sa part, Caroline Jestaedt, la Dame Blanche, ne démérite pas, avec un très joli timbre, des vocalises acrobatiques réglées au cordeau, mais un je-ne-sais-quoi dans l’incarnation qui semble un (petit) cran en dessous de l’essentiel de l’équipe. C’est également le cas de la Marguerite un peu sage à l’oeil comme à l’oreille de Majdouline Zerari.
Trac de début de tournée peut-être ? Elles auront l’occasion de gagner en assurance puisque le projet audiovisuel, né de la nécessité et à retrouver en replay, ne privera pas la Dame Blanche d’une belle tournée de vingt dates la saison prochaine, sur les scènes des six membres de la co[opera]tive, Quimper, Dunkerque, Besançon, Compiègne, Tourcoing et Rennes pour les fêtes de fin d’année.