Il est bien courageux, pour un théâtre aussi grand que celui du Festspielhaus de Baden-Baden, de proposer un opéra aussi peu connu que cette Nymphe fidèle de Vivaldi, qui plus est en version de concert. On ne peut que s’en réjouir, au même titre que ceux qui avaient fait le déplacement, assez nombreux, tout de même, et enthousiastes, à en juger d’après les applaudissements. Compliquée à souhait, l’intrigue offre surtout la possibilité à chacun des six personnages de rivaliser de virtuosité, avec des airs où ils expriment tour à tour la passion ou le désespoir amoureux, la fureur ou la liesse. On comprend cependant très vite de quoi il retourne et il ne reste plus qu’à se laisser aller au plaisir des joutes vocales successives. Pour résumer, la Fida Ninfa met en présence deux frères enlevés enfants, séparés et qui ignorent tout l’un de l’autre. Il s’agit Osmino, qui répond à présent au nom de Morasto, et Tirsi, qu’on a rebaptisé Osmino, une homonymie à l’origine de tous les quiproquos à venir. En effet, la nymphe Licori avait juré fidélité à Osmino et le retrouve sur l’île de Naxos, où elle est, ainsi que sa sœur Elpina et son père Narete, captive du corsaire Oralto. Loyale à son serment, la nymphe croit devoir renoncer à celui qu’elle aime, et qui nourrit des sentiments similaires à son égard, Morasto. Pour pimenter le tout, Oralto et Tirsi sont eux aussi amoureux de Licori, au grand dam d’Elpina, mais grâce à l’intervention de Junon et la complicité d’Éole, tout va rentrer dans l’ordre, Morasto se révélant être Osmino.
Dans une belle cohésion, le plateau vocal excelle, notamment dans le superbe finale. Roberta Invernizzi irradie en Morasto, se joue des difficultés d’airs aux vocalises bien périlleuses et convainc tout particulièrement dans son lamento, ample, solennel et émouvant. Si l’émotion est au rendez-vous, on reste parfois sur son quant-à-soi, car la voix passe moins bien la rampe au fil de la soirée. Fatigue passagère ? Maria Espada force le respect et l’admiration en Licori, tant son interprétation est habitée et autoritaire. Dotée d’une belle palette de couleurs, le timbre est pur, la science du legato remarquable. Robin Adams est lui aussi très à l’aise en Oralto dont le baryton exalte la puissance et le caractère menaçant dans des pyrotechnies sonores et percutantes, nettes et propres. Franziska Gottwald minaude délicieusement dans le rôle de faire-valoir d’Elpina et tire fort habilement son épingle du jeu. Carlos Mena propose une vision tout en ambiguïté du personnage de Tirsi, jouant avec élégance de sa voix androgyne particulièrement caressante. Un peu moins brillant, Topi Lehtipuu déçoit en père berger plutôt fade et vocalement peu à l’aise. Enfin, si son intervention est brève, Francesca Ascioti ne manque pas de panache voire de glamour, tant dans l’apparence que dans l’émission, condensé virtuose et incandescent dont on aurait aimé profiter davantage. Quant à Ismael Arróniz, impeccable Éole, il déploie un bel échantillonnage de savoir-faire ou la fureur de la tempête le dispute à la délicatesse de la brise.
Dirigée avec enthousiasme et précision par Andrea Marcon dont on connaît la passion pour les œuvres rares et oubliées du répertoire baroque, La Cetra Barockorchester Basel séduit par une richesse de couleurs et une harmonie d’ensemble qui évoque la peinture vénitienne d’un Giorgione ou d’un Titien : frémissements, effets de moire, voile mordoré ou contrastes éclatants, l’oreille est à la fête et l’imaginaire se délecte. Plaisante, la soirée laisse pourtant quelque peu sur sa faim : une mise en scène aurait été la bienvenue, pour clarifier le propos et donner un équivalent visuel à tout ce foisonnement sonore…