Retour de la Finta Pazza, trois ans après la création triomphale de cette production à Dijon, puis Versailles et sa sortie en disque. Que l’on nous permette un avis divergent du concert d’éloge que ce spectacle a reçu ; avis d’autant plus divergent que l’Opéra Royal fait, pour cette reprise d’une œuvre rarissime, salle comble, ce qui relève de l’exploit, alors que beaucoup d’autres théâtres lyriques peinent à remplir avec de grands titres du répertoire. Divergent non pas sur l’interprétation musicale, mais bien sur l’œuvre d’une part et la mise en scène ensuite.
On ne contestera pas la dimension historique de cette pièce (premier opéra italien représenté à Versailles, première scène de la folie et autres spécificités que nos collègues ont bien résumées), mais bien la qualité de son écriture : le livret très fourni (pour ne pas dire bavard) ne nous a pas séduit, passé les équivoques de genre et le mobile de la folie feinte (une femme aimante qui veut juste qu’on lui dise adieu avant de disparaitre), les personnages sont plaisants mais relativement attendus. Est-ce notre perspective historique qui nous fait voir un manque d’originalité chez un librettiste qui fut en fait le premier à fixer ces stéréotypes ? Sans doute, mais d’autres, plus tard, nous ont semblé plus talentueux dans l’exploration de ces inventions. De la même façon, ce n’est pas Monteverdi qui a inventé l’opéra, il a toutefois su lancer le genre avec plus de talents que Peri. D’autant que la musique nous a semblé de qualité intermittente, impropre à maintenir seule l’attention tout au long des deux heures que constitue la première partie notamment. Ce ne serait pas la première fois qu’un chef-d’œuvre contient des parties plus faibles, voire des tunnels, mais alors c’est au metteur en scène de prendre le relais.
© Gilles Abegg
Or la scénographie de Jean-Yves Ruf est vite évanescente par manque d’ingéniosité. Certes la direction d’acteur est vive et bien réglée (surtout dans les passages comiques – le récit de l’eunuque au II, la danse de la nourrice au III – et la scène de la folie), oui ces costumes sont de très bon goût, tout comme ce grand rideau rouge dont le drapé fait écho à la belle robe de Deidamia et qui, en d’habiles mouvements et fins éclairages, devient ciel marin menaçant, puis tentures du gynécée, raffinés également les rais de lumière qui traversent les frondaisons du dernier acte. Toutefois le merveilleux n’y est que suggéré : passés la fraicheur du lever de rideau et quelques dieux suspendus depuis les cintres, pas grand chose. C’est une esthétique proche d’un chic théâtre de tréteaux que l’on convoque ici, sans doute pour nous faire ressentir avec plus de proximité la douleur de la protagoniste. Contrairement au très réussi Ercole Amante de Cavalli par Hecq et Lesort (autre succès italien importé à Versailles), la fantaisie de l’ingénierie qui contribua au succès de l’œuvre à sa création sont ici totalement éludés. L’ambition est noble : faire confiance avant tout à l’œuvre, là où tant de metteurs en scène les écrasent par mégarde sous le poids de leurs intentions, mais le pari ne nous semble qu’à moitié emporté.
© Gilles Abegg
Ce qui assure la vitalité de ce spectacle, c’est bien ses musiciens. Au premier rang desquels, la Cappella Meditarranea et son chef évidemment, Leonardo García Alarcón qui excelle surtout dans unrépertoire où son propre génie de compositeur et d’arrangeur peut s’exprimer. On lui sera donc gré des ajouts que certains historiens ont pu lui reprocher, sans eux la qualité de cette musique eut été plus exposée encore. Ce sont ensuite les chanteurs : certes quelques voix sont assez maigres dans les seconds rôles, néanmoins, les protagonistes eux sont tous à signaler. Seuls les ténors jouissent de voix aux possibilités et au timbre réellement remarquables (à commencer par l’excellent Valerio Contaldo), mais tous les autres font oublier leurs limites tant par leur engagement scénique que l’énergie qu’ils mettent à faire déborder cette musique. L’acidité de Kacper Szelążek est parfaitement maitrisée dans un eunuque impayable (digne héritier d’un Dominique Visse), en tandem avec la truculente et surpuissante nourrice de Marcel Beekman, sœur d’une Marie-Thérèse Porchet par son génie comique et sa façon d’écarquiller ses grands yeux. Filippo Mineccia fait oublier la monochromie de sa voix et la dureté de ses forte par sa fougue et sa musicalité, enfin Mariana Florès éblouit, pas uniquement dans l’expréssivité de sa folie, mais surtout dans l’intensité de ses lamentations, aussi courtes et retenues que sa folie s’épanche.
Des caméras présentes dans la salle ce soir laissent espérer une diffusion audiovisuelle, chacun pourra alors se faire son avis sur les mérites de l’œuvre, de la mise en scène et de ses interprètes.