L’objectif était de retrouver l’esprit qui avait présidé à la création du singspiel : parler au plus large public, dans sa langue, et – au travers d’une histoire fabuleuse – illustrer les valeurs fondamentales de la franc-maçonnerie, chères à Mozart et à Schikaneder. La réussite de Cécile Roussat et de JulienLubek est extraordinaire, au point que s’estompe la mémoire du film féérique de Bergman, qui relève maintenant de l’histoire. Créée à Liège il y a quatre ans, cette production se renouvelle en Avignon, ainsi que sa distribution. Elle est donc maintenant chantée intégralement dans l’adaptation française de François Ferlan. Ne subsistent que la mise en scène, les décors, les costumes et la participation, ici essentielle, d’artistes circassiens dont nous reparlerons. C’est l’esprit de la comédie musicale, avec, pour conséquence l’amplification des voix. Ce parti pris, s’il dérange le lyricophile, offre l’avantage de rendre intelligible chacun des intervenants dans le vaste volume de l’éphémère Opéra Confluence. Mais il accuse, ici et là, des changements de registre qui seraient peut-être passés inaperçus dans une émission naturelle. D’autre part, la distorsion des timbres leur ôte la rondeur, enfin, l’équilibre avec les bois de l’orchestre se fait à leur détriment.
La Flûte enchantée © Opéra du Grand Avignon
Serviteur fidèle du livret et de la partition, la mise en scène est un enchantement permanent, d’une invention renouvelée, fraîche, ludique et onirique. Elle réveille en chacun la fraîcheur de l’enfance, sa poésie, nous entraînant dans une quête féérique, où s’entrecroisent les univers de l’Enfant et les sortilèges, et de Harry Potter. De l’ouverture, avec un serviteur, plumeau en main, qui époussette un phonographe, à la scène ultime, c’est un constant régal pour l’œil. Le mobilier – art nouveau – de la chambre où l’enfant découvre l’histoire d’un grand livre, la bibliothèque, les livres géants nous réservent autant de surprises, jubilatoires, facétieuses… l’univers est magique, mobile, animé. Les costumes qui caractérisent chacun sont autant de réussites. Les lumières participent idéalement à ces tableaux. Les cinq artistes circassiens sont bien plus que des acrobates : personnages à part entière, aux activités et costumes renouvelés, jongleurs, danseurs, athlètes, fildefériste, équilibriste, marionnettiste, etc. Leur fonction, qui ne distrait jamais du chant, illustre chaque scène avec pertinence, les arias et les ensembles tout particulièrement, dispensant le chœur de sa présence en scène.
Outre une équipe de jeunes chanteurs, on attendait deux figures bien connues, familières du répertoire baroque français : Chantal Santon-Jeffery et Mathias Vidal. La première, qui devait chanter la Reine de la Nuit, sera remplacée par Lisa Mostin, colorature belge dont la carrière internationale est déjà riche. Chacun de ses airs est servi avec une sûreté rare (le premier en allemand, sans doute pour des raisons d’apprentissage de dernière minute), les vocalises sont exemplaires de précision, de justesse comme de couleur. Mathias Vidal campe un Tamino noble, ardent, résolu. On regrette seulement que les tempi imposés, surtout au premier acte, privent son chant de l’émotion attendue. « Dies Bildnis » [Nul regard…], « Sie lebt » [Elle vit]… la voix est saine, bien conduite, nuancée. La Pamina de Florie Valiquette rallie tous les suffrages. L’évolution psychologique qui la conduira à l’épanouissement est traduite avec justesse. « Ach ich fühl’s » [Ah ! je le sens] est un des sommets d’émotion de tout l’ouvrage, servi par une voix claire, agile, longue et sensible. La plénitude rayonnante, malgré le tempo imposé. Le Papageno de Marc Scoffoni, simple, facétieux, au jeu pleinement convaincant, acrobate à l’occasion, est servi par une voix parlée et chantée bien projetée. Sa Papagena – Pauline Ferracci – n’est pas en reste et leurs duos, jamais outrés, sont autant de sourires. Monostatos, en ramoneur, sortant de la cheminée, est une belle réussite dramatique comme vocale. Olivier Trommenschlager vit pleinement son personnage, d’une voix sûre, bien placée, expressive. Tomislav Lavoie chante Sarastro. Le solide baryton, aux belles couleurs, manque cependant de profondeur pour traduire la force sereine, l’autorité du personnage. Der Sprecher [l’Officiant], comme les hommes en armes, remarquables d’autorité, emportent l’adhésion. Les trois dames, et les trois enfants (ici, trois voix de femmes), tiennent fort bien leur partie, l’amplification occultant malheureusement l’harmonie de chaque groupe. Les ensembles, quintettes, trios et duos sont autant de réussites. La dernière apparition de la Reine de la Nuit, accompagnée de Monostatos et des trois dames, est d’une force dramatique peu commune.
Le chœur placé en fosse, côté cour comme côté jardin, se montre sonore, équilibré et intelligible. L’exigence est au rendez-vous. L’orchestre, précis, puissant malgré le déséquilibre lié à l’amplification des voix, se plie à toutes les volontés de la direction. Les tempi adoptés, surtout au premier acte, sont rapides, la direction, privilégiant une rythmique sèche, prive quelque peu la musique de sa poésie, de son lyrisme, mais aussi de son humour, ce qui est un comble pour Hervé Niquet, dont on connaît les facéties. Même la marche des prêtres, qui ouvre le second acte, perd sa gravité tant elle est prise au sabre. L’introduction et l’accompagnement du duo des hommes d’armes, par contre, sont admirables de construction, clairs, inexorables, certainement la plus belle page orchestrale de l’ouvrage.
L’ouvrage est repris du 10 au 14 janvier au Château de Versailles. Formons le vœu que cette féérie initiatique, exceptionnelle, poursuive une belle diffusion, pour le régal visuel, musical et dramatique des petits et des grands, mélomanes comme curieux découvrant la magie lyrique !