Charles GOUNOD (1818-1893)
FAUST
Opéra en cinq actes
Livret de Jules Barbier et Michel Carré d’après Goethe
Nouvelle production
Coproduite avec les Chorégies d’Orange
Mise en scène, Nicolas Joel
Décors, Ezio Frigerio
Costumes, Franca Squarciapino
Lumière, Vinicio Cheli
Faust : Giuseppe Filianoti
Méphistophélès : Orlin Anastassov
Marguerite : Inva Mula
Valentin : Andrew Schroeder
Siebel : Blandine Staskiewicz
Wagner : André Heyboer
Marthe : Isabelle Vernet
Orchestre National du Capitole
Chœur du Capitole
Chef de chœur, Patrick Marie Aubert
Direction musicale, Emmanuel Plasson
Toulouse, ce 23 juin 2009
La foi qui sauve
Quel est le sujet de Faust ? L’histoire d’un homme qui vend son âme au diable, comme dans les légendes édifiantes du Moyen-âge ? La condamnation des existences consacrées à l’étude et vouées à finir dans les frustrations et le désespoir ? L’affirmation que le sentiment amoureux est plus fort que les satisfactions sexuelles multiples ? Ou l’exaltation solennelle de la miséricorde divine, qui accorde la rédemption à la pécheresse ?
Tout cela à la fois, ce qui explique pourquoi la cohérence laisse parfois à désirer : le vieillard qui renonce au suicide semble ne rêver que de débauches sexuelles, or à peine métamorphosé le voici sentimental comme un jeune écolier. Le diable repoussé par la croix et dont le pouvoir est vaincu par l’eau bénite se promène dans l’église comme un poisson dans l’eau. D’où l’avantage, nous semble-t-il, de conserver le contexte médiéval de la légende initiale, propre à faire accepter comme inhérentes au genre ces bizarreries.
C’est pourquoi la transposition à l’époque de la création ne nous a pas conquis, même si elle est comme toujours avec l’équipe des fidèles Frigerio, Squarciapino et Cheli efficace sur le plan du déroulement du spectacle en réduisant les changements de lieu et de décors à de rapides précipités. Deux regrets : ce Faust en bourgeois n’a pas plus d’allure que les jeunes gens qui l’entourent et l’instrument de torture auquel Marguerite est attachée dans le tableau final relève de l’imagerie médiévale. En revanche le cabinet de Faust est intemporel à souhait.
Fidèle à sa méthode – et fidélité était bien le mot clef de cette production avec laquelle Nicolas Joel prend congé de Toulouse, puisque c’est pour mettre en scène Faust que Michel Plasson l’y avait appelé voici trente ans – l’encore patron du Capitole laisse vivre la musique sans chercher midi à quatorze heures ; cela donne parfois lieu à un certain statisme, comme dans la bien sage nuit de Walpurgis, mais les situations dramatiques, sans toujours être exploitées à fond, sont comme toujours scrupuleusement respectées.
Comme la maison nous y a habitués, la fosse et le plateau sont d’une très haute qualité : le fils de Michel Plasson, Emmanuel, assume crânement son rôle. Le geste large et précis, il porte jusqu’au bout dans un équilibre remarquable entre l’orchestre et les chanteurs la partition riche, complexe et si connue et la sert avec un soin de tous les instants. Dans l’exécution soignée et vibrante qu’en donnent les musiciens du Capitole les couleurs multiples sont restituées avec clarté et netteté, et ni la force dramatique, ni l’exactitude rythmique ni la subtilité ne font défaut. Superbe !
Tous les interprètes des seconds rôles méritent des éloges appuyés, d’Isabelle Vernet, savoureuse et coquine Dame Marthe, à André Heyboer, qui fait regretter la brièveté de son rôle et à Blandine Staskiewicz, dont le Siebel est du niveau de son Stefano, c’est-à-dire excellent. En Valentin sensible, pieux, ardent, désespéré, Andrew Schroeder enchante aussi bien scéniquement que vocalement, d’autant que la qualité de son français est exceptionnelle. C’est sur ce dernier point que pèche un tant soi peu la prestation des trois grands rôles.
Orlin Anastassov a bien des atouts pour incarner Méphistophélès : sa voix, avec ses graves profonds et une extension honnête dans l’aigu, et son physique impressionnant. Méforme ? Fatigue ? La prestation est satisfaisante mais l’émission manque de fluidité, il semble changer de voix selon le registre, et le fini des ornements laisse à désirer. Et puis sa qualité de non francophone est sensible malgré son application.
Le français d’Inva Mula, bien qu’elle soit parisienne depuis longtemps, n’a pas la pureté idéale, pas plus que celui, pourtant remarquable, de Giuseppe Filianoti : çà et là quelques accents et couleurs les trahissent. Mais l’un et l’autre campent leurs personnages avec une intensité qui séduit. Peut-être note-t-on chez elle une certaine prudence pour aborder les aigus, mais ils sont glorieux dans la scène finale, et la sensualité dont elle charge par instants sa voix révèle la vulnérabilité de cette cousine de Zerline et de Gilda, étournelle incapable de résister à la séduction d’un beau parleur et des présents qui brillent, Le ténor italien, qui démontre dès la scène initiale ses qualités de comédien, conquiert par sa générosité ; à quelques aigus près émis en falsetto tous les autres sont lancés d’une voix pleine qui s’est étoffée jusqu’au baryténor et pourtant le chant est aussi nuancé qu’on peut le souhaiter.
Un dernier mot pour saluer le travail accompli par Patrick Marie Aubert à la tête de chœurs en état de grâce, étourdissants de clarté et d’ardeur.
Fidélité à l’œuvre ? Fidélité au nom de Plasson ? Fidélité à Nicolas Joel ? Il n’a pas fallu moins que le rideau baissé d’autorité pour que le public, peu réactif pendant la représentation, consente à mettre un terme à ses acclamations.
Maurice Salles