Le trac légitime dû aux enjeux d’un soir de première étant derrière eux, la plupart des chanteurs se sont révélés bien meilleurs lors de cette seconde représentation de La Force du destin, à moins que ce ne soit l’effet de la présence rayonnante d’Anna Netrebko, remise de ses problèmes de santé, dont la prestation magistrale a certainement stimulé ses collègues, à commencer par Russell Thomas, méconnaissable dès le premier acte qu’il a abordé avec une voix assurée, des aigus solides, émis avec facilité, et une belle détermination face sa partenaire . Au trois, son grand air « O tu che in seno agli angeli », interprété avec un legato mieux maîtrisé et de subtiles nuances, a ému le public qui lui a réservé une belle ovation. Le ténor a également fait preuve d’un investissement théâtral autrement plus convaincant lors de ses scènes avec Ludovic Tézier, notamment le grand duo du quatrième acte « Invano Alvaro ti celasti al mondo ». De son côté, le baryton français qui avait déjà livré une prestation tout à fait remarquable le soir de la première, s’est encore surpassé. son air « Urna fatal » est un modèle de chant verdien. En grande forme vocale, Ludovic Tézier traduit avec finesse dans cette page les atermoiements du personnage face à la tentation de trahir la promesse faite à son ami. Enfin, toute sa scène finale à partir de son arrivée au couvent est absolument impressionnante tant sur un plan théâtral que vocal.
La forza del destino © Charles Duprat / Opéra national de Paris
Ferruccio Furlanetto dont le timbre avait paru blanchi, lundi dernier a retrouvé quelques couleurs cuivrées dans la voix, et un registre grave assuré jusqu’au fa qui conclut son duo avec Leonora au deuxième acte. Il n’est pas jusqu’à Nicola Alaimo qui s’approprie avec davantage d’aisance et une évidente délectation, le personnage truculent et Bougon de Fra Melitone.
Cette fois, la grande triomphatrice de la soirée, celle que tout le monde attendait, c’est Anna Netrebko dont les moyens n’ont pas paru affectés par la maladie. Dès ses premières notes on est envouté par son timbre capiteux, riche en harmoniques, et son art de varier les couleurs au gré des affects de son personnage. L’ampleur de ses moyens vocaux, en particulier son registre aigu rond et puissant, impressionne tandis que les sons filés dont elle orne son chant, éblouissent. Son deuxième acte est tout à fait hallucinant, La prière « Madre,pietosa Vergine », avec ses redoutables montées dans l’aigu, typiques du style verdien de cette époque, ne semble lui poser aucun problème tout comme le duo avec Padre Guardiano qui lui fait suite où elle se montre tout à tour suppliante, terrorisée et finalement apaisée. Enfin, au quatre, elle livre dans un silence recueilli un « Pace mio Dio » de haute volée, teinté de nostalgie dans sa première partie puis d’une émotion intense dans sa conclusion, au cours duquel elle nous régale d’un magnifique « invan la pace » piano et longuement tenu. Du grand art.
Orchestre et chœurs sont égaux à eux-mêmes, c’est-à-dire excellents. Jader Bignamini parvient à conférer une certaine unité à cette succession de tableaux disparates où le burlesque côtoie le drame. La partition est donnée dans son intégralité sans les coupures d’usage ce qui mérite d’être signalé. Le choix de placer l’ouverture après le premier acte, faisant de celui-ci une sorte de prologue, peut se justifier vu le temps qui s’écoule entre la fuite des amants et la scène de l’auberge.