Un chanteur furieusement ovationné avant même la fin de son air – « Quando la fama altera » – pourtant loin de figurer dans la liste des tubes que l’on guette le poil en éveil, prêt à s’hérisser dès que la température musicale dépasse les moyennes coutumières. La scène se passe lors d’une représentation de La gazetta à Pesaro, Mecque du chant rossinien où des milliers de fidèles communient chaque année avec une ferveur renouvelée dans le même amour de l’art vocal porté à son incandescence. Giorgio Caoduro, l’auteur de ce triomphe, écume les planches depuis le début des années 2000. Mozart – un peu –, Donizetti – beaucoup –, Rossini – passionnément, voire à la folie lorsqu’il s’agit de multiplier les roulades à une vitesse vertigineuse sans jamais s’écarter de la note et de la ligne. Lucky Luke dans sa catégorie, le baryton vocalise plus vite que son ombre. Cette agilité à laquelle sa tessiture nous a peu habitués – et dont témoigne un album chez Glossa – s’accompagne d’une largeur confortable et, contrairement au Signor Bruschino l’an passé, de la liberté expressive nécessaire pour transcender l’exploit technique. Filippo, aubergiste amoureux dans un opéra jugé secondaire – non sans raisons –, s’extirpe de la convention pour rejoindre la digne lignée des valets de cœur rossiniens, à quelques doubles croches de Figaro (Le barbier de Séville) et Dandini (La Cenerentola).
Ce succès n’éclipse en rien l’autre triomphateur de la soirée. Carlo Lepore trouve en Don Pomponio un de ces rôles de basse bouffe dans lesquels il excelle depuis une vingtaine d’année – débuts à Pesaro en 1996 puis dès 2000 un échantillon représentatif à une fréquence régulière des barbons du répertoire. Les fils d’argent aux tempes de la voix sont l’apanage reconnu d’une maturité épanouie. Ses cartes maîtresses ? La puissance, mieux la présence ; la vélocité qu’exige l’implacable débit syllabique, calqué sur la rapidité d’élocution de la langue italienne (en l’occurence du dialecte napolitain) ; la dose d’autodérision nécessaire pour que le rire s’exerce au dépens du personnage et, au-delà, le travail sur le mot, l’art de la parole chantée dont l’excellence arrache au public une bordée d’applaudissements en cours de récitatif.
© ROF / Amati Bacciardi
Autour de ces deux piliers vocaux s’éploie la toile comique de l’œuvre avec sa flopée de personnages secondaires, plus ou moins utiles à l’intrigue mais prétextes à imbroglio et situations cocasses, de l’intrigant Monsù Traversen et du noble Anselmo, confiés aux voix prometteuses de Pablo Gálvez et d’Alejandro Baliñas, à Tommasino, le valet agaçant de Pomponio joué par Ernesto Lama, dont on ne dira rien puisque le rôle est muet. Comme Martiniana Antonie dans le rôle de Doralice, Andrea Niño en Madama la Rose a suffisamment de style et d’esprit pour tirer de son mezzo-soprano court et fruité les ficelles emberlificotées de l’histoire. En mal d’imagination, le soprano acidulé de Maria Grazia Schiava – capricieuse Lisetta – et le ténor enraidi de Pietro Adaíni – tendre Alberto – trouvent dans les nombreux ensembles plus que dans leurs airs l’occasion de se mettre en valeur.
D’une baguette assagie par sa longue expérience du buffo rossinien, de 1994 – L’inganno felice – à 2019 – L’equivoco stravagante –, Carlo Rizzi règle avec une précision horlogère un mécanisme musical dont l’engrenage faible serait le coro del Teatro della fortuna si le nombre d’intervention chorale ne se comptait sur le doigt d’une main.
Datée de 2015, la mise en scène inoffensive de Marco Carniti a pour premier atout le choix d’une transposition élégante dans les années 1950, et pour second avantage l’économie d’effets dont l’abus s’avère trop souvent préjudiciable au comique rossinien (Le Comte Ory le lendemain en apportera une nouvelle preuve). Avec son décor unique suggéré par un jeu judicieux de toiles et de lumières, La gazetta ainsi représentée parvient à faire oublier une composition mineure qui puise sans vergogne dans bon nombre d’opéras antérieurs, le fameux quintette du premier acte, longtemps perdu puis retrouvé en 2011, n’étant pas le moindre des numéros empruntés à d’autres partitions.