La représentation d’Alessandro de Haendel en version de concert ce soir est le reflet de l’enregistrement publié il y a un an chez Decca et qui avait enthousiasmé notre confrère Bernard Schreuders. On retrouve Salle Pleyel les mêmes chef et orchestre ainsi que la plupart des protagonistes, le principal changement étant le remplacement de Karina Gauvin par Laura Aikin en Lisaura. Et l’on retrouve intact cet enthousiasme au sortir du concert.
Le livret narrant un épisode de la vie d’Alexandre le Grand, focalisé sur ses amours, a beau accumuler invraisemblances et incohérences, la partition qui s’ouvre sur de superbes climax guerriers (le siège de Sidrach) a beau retomber rapidement dans un marivaudage plus convenu, on ne s’ennuie à aucun moment. La raison n’est pas à rechercher du côté des quelques coupures opérées au troisième acte mais découle de multiples plaisirs. D’abord une musique inventive et variée, faisant intervenir des instruments solistes sous forme d’airs concertants. Ensuite un chef (George Petrou) qui dynamise la partition sans la brusquer, respectant les climats divers et un orchestre d’une précision remarquable quels que soient les pupitres, tous très sollicités, aussi à l’aise dans les sections rapides qu’inspiré dans les sections plus rêveuses. Enfin, une équipe de chanteurs homogène et complice. Il faut voir Max Emanuel Cencic arriver titubant et débraillé au début du second acte, une bouteille de vodka à la main, hoquetant son récitatif tout en pelotant la pauvre Laura Aikin !
Si le reste du concert est beaucoup moins déjanté, il n’est pas moins exempt de surprises, dont Max Emanuel Cencic tirant Xavier Sabata sur scène afin qu’il interprète à sa place le dernier air du premier acte destiné à Alessandro « Da un breve riposo di stato amoroso ». Il est bien loin le temps du jeune chanteur timide et un peu emprunté sur scène.
Vocalement le contre ténor croate assure. On connaît ses qualités, un médium et un grave inhabituellement nourris, une virtuosité sans faille, qui restent intactes. L’aigu semble un peu contraint en début de concert mais s’épanouit plus librement par la suite. Manque peut-être une plus grande variété de couleurs pour emporter totalement. Son remplaçant d’un air, et par ailleurs titulaire du rôle de Tassile, Xavier Sabata, séduit par un timbre caressant, plus à son aise dans l’élégie que dans la fureur. Le troisième contre ténor de la soirée, le jeune Vasily Khoroshev assume crânement son air guerrier. Les rôles secondaires sont d’ailleurs dans l’ensemble très bien tenus : la basse russe Pavel Kudinov aux graves profonds n’oublie jamais la souplesse d’émission tandis que le ténor Juan Sancho compense par la véhémence une ligne pas toujours très soignée.
Reste que l’Alessandro de Haendel est surtout connu pour être la première confrontation des « rival Queens » Francesca Cuzzoni (Lisaura) et Faustina Bordoni (Rossane). Le duel ce soir tourne cependant court au profit de Rossane : Julia Lezhneva semble en effet respirer la musique du caro Sassone, le langage haendelien sonnant comme une évidence dans sa bouche. Dès son premier air « Lusinghe piu care » on est sous le charme de cette voix qui conjugue les opposés, un timbre plutôt charnu conjugué à une ductilité aérienne. L’air « Alla sua gabbia d’oro » qui imite un oiseau avec ses trilles et volutes insensés laisse pantois.
Sa rivale d’un soir, Laura Aikin (Lisaura), sans vraiment démériter, n’atteint pas ces cimes. La soprane américaine ne peut se targuer d’un son aussi voluptueux que celui de Karina Gauvin au disque et les parties les plus virtuoses malmènent l’égalité de son timbre. Elle sait pourtant rendre touchante cette femme bafouée et sa voix se marie à merveille à celle de Julia Lezhneva dans le court duo « Placa l’alma ».