Yves Coudray, directeur artistique du festival d’Étretat, aime raconter des histoires, et sait très bien le faire. Pour cette douzième saison, il nous entraîne à la Villa Orphée, qu’Offenbach avait fait construire en 1860 à Étretat avec les droits d’auteur d’Orphée aux Enfers. Nous sommes en 1920, Pépita, fille du compositeur, se résout à vendre la villa, et son fils Jacques Brindejont monte une dernière fois au grenier. Parmi les trésors accumulés, dont une lanterne magique, un vieil écran et des recueils divers, il exhume deux partitions oubliées qu’il va faire revivre une dernière fois avec l’aide des membres de la famille et des amis présents.
Rien en effet ne liait de prime abord les deux œuvres proposées ce soir. Le procédé se montre efficace, encore que bien long à se mettre en route au travers d’explications un peu laborieuses. La « bouffonnerie musicale » La Leçon de chant électro-magnétique (1867) s’y trouve ainsi quelque peu noyée, mais les deux protagonistes, Tocatto, professeur de chant et compositeur italien, et son élève Jean Matois, paysan normand, qu’il s’est juré de faire chanter « La Bigornaise » grâce à sa méthode révolutionnaire et malgré son peu de prédisposition, mettent rapidement le public dans leur poche par leur entrain communicatif. Yves Coudray trouve dans ce professeur illuminé inventeur de l’Ut de cœur (« très supérieur à l’Ut de poitrine »), un rôle à sa mesure, où ses qualités vocales et son expression scénique font merveille. Quant au paysan rétif, c’est Marc Larcher qui associe ses réparties impertinentes à des mimiques impayables et à une voix chaude et sonore, créant ainsi un personnage haut en couleur qui réjouira aussi bien ceux qui ont déjà suivi des cours de chant, que ceux qui ignorent tout de cette mystérieuse discipline.
La Leçon de chant électro-magnétique, Yves Coudray (Toccato) et Marc Larcher (Jean Matois) © Photo Jean-Marcel Humbert
Toute différente, et d’une tout autre dimension, est l’opérette fantastique Les Trois baisers du Diable (1857). Pour racheter son âme au diable, Gaspard doit obtenir de la femme de Jacques, un bûcheron, qu’elle lui dise par trois fois « Je t’aime », aveu qu’il ponctuera de trois baisers. Pour arriver à ses fins, il fait apparaître à ses yeux des tentations merveilleuses (bijoux et riches vêtements), malgré lesquelles Jeanne, pure et croyante, ne cède pas, jusqu’à ce que le félon enlève son enfant… Offenbach, selon son habitude, renvoie à deux « grands opéras », Robert le Diable (1831) et Le Freischütz (1821), dont son personnage Gaspard rappelle bien sûr le Caspar. Cela annonce Faust (la scène des bijoux, 1859) et surtout Les Contes d’Hoffmann, dont on remarque déjà l’analogie musicale et vocale avec l’acte d’Antonia.
Le caractère spectaculaire de l’œuvre était accentué à la création par des toiles peintes de Cambon et Thierry, décorateurs de l’Opéra. Pas question bien sûr, dans la toute petite salle des Bouffes étretatais, de pouvoir présenter une telle superproduction. L’orchestre, impossible à réduire du fait de son importance, est remplacé par un piano à quatre mains (les excellentes Nina Huari et Sophie Teulon) et par un synthétiseur. Très astucieusement, le metteur en scène Yves Coudray a choisi d’utiliser le concept d’un grand livre pop-up qu’il manipule tout au long de la représentation, accompagné de marionnettes et de projections d’ombres chinoises par Damien Schoëvaërt-Brossault. Le procédé est convaincant pour l’évocation des lieux et des accessoires, complété par les ombres dont la participation aurait pu être plus effective, de même que les petites marionnettes, un peu fades vues de loin. Quant aux disparitions, rien ne vaut bien sûr, comme on a pu le constater une fois de plus, une bonne boîte à fumée colorée de rouge.
Le rôle de Gaspard est peu ou prou celui des rôles maléfiques des Contes d’Hoffmann. Marc Labonnette a tout à fait la voix du personnage, qu’il joue avec autorité, même si l’on aurait aimé qu’il lui donne une personnification encore plus inquiétante. Anaïs Constans (Jeanne) confirme ses qualités vocales de grand soprano, à la voix ample et riche, on imagine déjà l’excellente Antonia qu’elle pourrait être. Marine Chagnon met son agréable mezzo au service du rôle travesti de Georget, tandis que Marc Larcher chante fort bien Jacques le bûcheron. Une belle découverte que cet acte fantastique, qui présente un intérêt dramatique autant que musicologique.