La réussite de ce Barbier de Séville mis en scène à Lille par Jean-François Sivadier est indéniable. Tout au long de la représentation, le public rit et applaudit comme s’il découvrait l’opéra de Rossini. Mais une fois l’euphorie passée, on s’interroge sur les raisons d’un succès auquel on n’adhère pas totalement. Il existe incontestablement un système Sivadier qui une fois de plus fait ses preuves. Le constat devient évidence quand, à peine entré dans la salle de l’Opéra, c’est La Traviata, telle que présentée à Aix en 2011, qu’évoque le plateau nu sous les lumières blanches. Ce système ne bégaye pas mais il s’appuie sur quelques constantes.
Il lui faut, pour commencer, une page blanche afin de pouvoir raconter l’histoire à sa guise. S’affranchir des didascalies et autres contraintes pour libérer le geste, quitte à désobéir au livret. Dans Le Barbier, le mécanisme imaginé par Sterbini et Rossini est trop subtil pour que l’on puisse démonter un seul de ses rouages sans en compromettre le fonctionnement. Les libertés prises seront donc rares. Citons-en une pour l’exemple : les musiciens au début de l’opéra ne remercient pas bruyamment Almaviva de sa générosité mais cherchent à lui extorquer davantage d’argent.
Le plateau nu s’habillera en même temps qu’il s’animera. Comme Le Barbier veut des portes qui claquent, des trous de souris d’où l’on puisse écouter et voir sans être vu et entendu, des stores vénitiens descendront des cintres le moment venu, pour délimiter l’espace. L’on renouera alors avec les codes classiques de la comédie, sans heureusement abandonner le travail sur le mouvement, qui forme à la fois l’ossature et le réseau sanguin du système.
La transposition est un autre des postulats nécessaires à Jean-François Sivadier. Les costumes sont contemporains. On bouge sur la musique de Rossini comme sur le dernier tube de Black Eyed Peas. Le procédé n’est pas nouveau et pourra sembler éculé aux familiers de ce répertoire mais l’effet est garanti.
L’Espagne demeure. Elle est même surlignée à l’occasion par quelques piétinements et claquements de mains empruntés au flamenco, dussent-ils parasiter la musique. Aucune importance. Rossini, c’est bien connu, n’est pas un compositeur sérieux. On peut s’autoriser ici ce que l’on s’interdit ailleurs.
Un des axiomes majeurs du système est de disposer pour le rôle-titre d’un artiste sur lequel puisse se cristalliser le travail du metteur en scène. Hier Stephanie d’Oustrac (Carmen) et Nathalie Dessay (La Traviata), aujourd’hui Armando Noguera. Il s’agit alors de ne pas mettre ses pieds dans les chaussons d’une certaine tradition mais, au contraire, de balayer les idées reçues pour inventer un nouveau personnage. Argile malléable, le baryton argentin fait mieux qu’accepter la proposition, il la sert avec la fantaisie et l’énergie qui lui sont propres. Dans ce contexte, il n’interprète pas, il n’incarne pas, il est Figaro. Les images du film La Traviata et nous en tête, on réalise, à le voir dès l’ouverture occuper le plateau puis l’habiter d’un bout à l’autre de l’opéra, la réflexion et l’investissement nécessaires à une caractérisation aussi aboutie. A l’exemple du public, on applaudit des deux mains parce que jamais la composition n’empiète sur la qualité du chant et qu’en plus Armando Noguera possède l’esprit et la voix du rôle : longue, assez souple pour épouser les tours et les détours de l’écriture rossinienne, plus légère que d’autres mais sonore. Cette production marquera un jalon à n’en pas douter dans sa carrière.
Evidemment, un tel parti-pris désavantage ses partenaires. C’est regrettable pour Taylor Stayton qui, en Almaviva, mériterait d’être mieux valorisé. Le comédien a du charme, le ténor de l’élégance, du souffle et de l’agilité à revendre. Pourquoi dans ces conditions l’avoir privé de son air du deuxième acte, l’ébouriffant « cessa di piu resistere », seul capable de rétablir l’équilibre entre le Comte et Figaro ?
On s’interroge aussi sur le choix d’Eduarda Melo en Rosina. Distribuer une soprano dans ce rôle est une mauvaise habitude que l’on croyait révolue. D’autant que celle qui fut Frasquita ici-même en 2010 a peu d’affinités vocales avec ce répertoire, qu’il s’agisse de la virtuosité, de l’imagination nécessaire à l’ornementation ou de la capacité à charger de sens la vocalise. Une Berta (Jennifer Rhys-Davies) sauvée par sa vis comica, un Basilio (Adam Palka) fruste mais efficace et un Bartolo (Tiziano Bracci) sans relief n’y changeront rien. Pas plus d’ailleurs que la direction alerte d’Antonello Allemandi. Au contraire de Carmen et de La Traviata, le propos du Barbier de Séville ne s’articule pas autour du rôle-titre. Lui donner trop d’importance revient à déséquilibrer l’opéra. C’est ici que le système Sivadier atteint sa limite.
Le spectacle sera retransmis sur grand-écran, en plein air, le 18 mai à 20h ainsi que sur les sites de l’Opéra de Lille et d’Arte Live Web. La captation sera disponible pendant 6 mois, avec surtitres, audiodescription,… (plus d’informations)