Enchaînant les concerts au fil des festivals, Sébastien Daucé et son Ensemble Correspondances, après de mémorables cantates de jeunesse de Bach, offertes au Puy-en-Velay (1), revenaient au cœur de leur répertoire pour conclure celui de Sablé.
Avant que Lully régente la musique au service du monarque et lui impose sa marque, la musique religieuse française était d’une rare richesse, que l’œuvre du favori a quelque peu occultée. Malgré les travaux anciens de Norbert Dufourcq, la période intermédiaire entre la polyphonie renaissante et le grand motet versaillais demeure largement méconnue. Sébastien Daucé s’emploie à nous faire découvrir ce riche répertoire, particulièrement celui dont les créateurs étaient attachés à Notre-Dame de Paris. En dehors d’une permutation de pièces, le programme est semblable à celui présenté il y a un an au Festival Musicancy, qui se déroulait dans la cour intérieure du remarquable château d’Ancy-le-Franc (Yonne). Aussi nous renverrons le lecteur curieux des œuvres qui le composaient à son compte-rendu détaillé (2).
Les musiciens ont pris place sur la scène de la belle salle Joël Le Theule. Le premier motet (Sacris solemnis, de Jean Veillot) surprend et interroge. Non point dans son écriture ou dans son interprétation, mais dans la perception qu’en a l’auditeur, confortablement installé. Les voix, alignées en arc de cercle derrière l’orchestre, semblent étouffées, ou absorbées par les cintres. Qu’il s’agisse du grand chœur, du petit chœur ou des solistes qui se déplacent au premier plan, elles paraissent amoindries, malgré l’engagement physique de chacun. Alors que les chanteurs n’ont rien à envier à ceux écoutés la veille dans l’église Notre-Dame, l’amoindrissement, imputable à l’acoustique de la salle, nous fait regretter que le concert ne soit pas donné dans cet édifice, ou à Notre-Dame du Chêne, ou encore à l’église du Brûlé, que nous avions appréciées lors de la précédente édition. L’oreille est intelligente et, comme les chanteurs, s’adaptera pour la messe de François Cosset et la suite. Le riche continuo, dosé subtilement en fonction de chaque mouvement, demeure cependant très sonore (basson, serpent, deux basses de violon, archiluth et orgue), malgré les quinze chanteurs aguerris à l’exercice. La richesse des couleurs instrumentales pâtit elle aussi de cette acoustique singulière : on imagine aisément comment les timbres auraient été valorisés en d’autres lieux : cordes, mais aussi flûtes à bec et traversières manquent de détermination.
La direction est superbe, du travail d’orfèvre, qui anime chaque phrase, équilibre, valorise les entrées, ménage les contrastes. Les incises de plain-chant, confiées naturellement aux voix d’hommes, sont heureusement doublées par le serpent, comme cela se fit jusqu’au XIXe siècle. La pâte sonore est savoureuse. Un entracte ménage une césure avant le Requiem de Campra. Ce dernier, mieux connu du grand public, est habité par les interprètes, et c’est un grand moment, où chanteurs et instrumentistes forcent l’admiration. Chaque soliste mériterait d’être cité. On atteint la perfection. Aussi, attendons-nous avec impatience l’enregistrement (Harmonia Mundi) qui sortira le 27 septembre… et le prochain festival, programmé du 20 au 23 août 2025. Enfin, formulons le vœu que la réouverture de Notre-Dame de Paris, le 8 décembre prochain, permette de valoriser ce répertoire, conçu pour l’édifice par ceux qui y étaient attachés.
(1) Bach, cantates de jeunesse (2) Campra : Requiem