Allure d’adolescent qui aurait grandi trop vite, d’une élégance toute britannique, Ian Bostridge ne ressemble à aucun autre, ni par le style ni par la voix. Nous suivons sa carrière depuis plus de quinze ans, il a toujours été différent ! C’est par le texte, en toutes circonstances, qu’il aborde la musique. Professeur de littérature, grand connaisseur des univers poétiques qu’il propose au public, le ténor décortique chaque mot, chaque intention, et construit des interprétations très élaborées (certains diront qu’elles manquent de simplicité) auxquelles il prête l’infinie variété des couleurs de sa voix. Le résultat est envoûtant, pour autant qu’on puisse suivre le texte au plus près, éminemment alternatif et personnel, d’une très grande modernité.
C’est un programme très original qu’il proposait ce mercredi soir au Théâtre Royal de la Monnaie.
Autour de l’opus 84 de Benjamin Britten, cycle très rare composé sur des textes de William Soutar, intitulé Who are these children et consacré aux répercussions de la guerre sur les enfants, le ténor a imaginé associer des mélodies de Haydn, des transcriptions de Purcell et de Bach, et un cycle de Kurt Weill sur des textes magnifiques de Walt Whitman, consacrés eux aussi à la guerre et ses souffrances. L’ensemble constitue un récital intéressant mais au style peu homogène, assez sombre, émaillé de beaucoup de découvertes, et marqué par le sentiment du tragique
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La première partie commence un peu complaisamment par le Music for a while de Purcell, avec un accompagnement pour piano réécrit par Michael Tipett. Dans le même registre, viennent ensuite des transcriptions des Geistliche Lieder de Bach par Britten, d’une grande intensité, dont le magnifique Komm, süsser Tod BWV 488 constitue le point culminant. Cinq extraits des Canzonettas de Haydn (hob. XXVIa) viennent clore cette première partie: largement annonciatrices de Schubert, ces mélodies en anglais, aux climats plus variés, conviennent particulièrement bien au ténor et à son pianiste, qui y développent de magnifiques nuances dans toutes les tessitures. Avec un charme très personnel, Bostridge se révèle ici champion de la couleur et de l’expression.
Après la pause, Purcell à nouveau; puis viennent les cycles de Britten et de Weill en question, d’une beauté à couper le souffle. Ce sont des œuvres exigeantes qui ne peuvent s’écouter d’une oreille distraite et qui déconcertent peut-être une partie des spectateurs. Chaque cycle connaît des moments d’une rare intensité dramatique, dans lesquels l’engagement des musiciens est total; et lorsque le ténor chante come up from the fields, Father, complainte d’un enfant qui réclame son père tombé au front, l’émotion est à son comble, même si quelques accidents sans gravité laissent penser que le chanteur souffre un peu des rigueurs de l’hiver
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Excellent pianiste, Julius Drake se montre tout du long attentif, très présent, mais on peut regretter que le programme de la première partie – avec ses nombreuses transcriptions – ne mette guère le piano à l’honneur. La deuxième partie révélera l’étendue de son talent et la complicité qui lie les deux interprètes aux tempéraments pourtant fort différents, le pianiste cadrant les ardeurs du chanteur et ses envolées poétiques, pour un résultat global à la fois équilibré et émouvant. Deux bis, Weill d’abord puis un retour à Purcell, viendront clore cette très belle soirée.
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