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CALDARA, La Morte d'Abel — Salzbourg

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Spectacle
9 juin 2019
Redécouverte d’un chef-d’oeuvre

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

La Morte d’Abel, azione sacra en deux parties d’Antonio Caldara sur livret de Pietro Metastasio

Créé le 8 avril 1732 à Vienne.

Détails

Adamo
Nahuel Di Pierro

Eva
Julie Fuchs

Caino
Christophe Dumaux

Abel
Léa Desandre

Angelo
Nuria Rial

Bachchor Salzburg
Markus Obereder, chef de choeur

Il canto d’Orfeo
Gianluca Capuano, direction

Grosser Saal du Mozarteum, Salzbourg, dimanche 9 juin, 11h

Ce n’est pas tous les jours qu’un oratorio sorti de l’oubli se révèle pur chef-d’œuvre, non seulement de son auteur mais du genre et du siècle entier. C’est le cas de cette Morte d’Abel de Caldara. Il y avait de quoi s’en douter : que Caldara, connu par son style très intérieur et inspiré, écrive pour l’extravagant Farinelli, et il y a tout à espérer du mariage des contraires. Cecilia Bartoli nous en avait donné un aperçu en gravant un poignant « Quel buon pastor son io », l’équipe réunie ce matin nous confirme que l’œuvre se hisse au même niveau. C’est d’abord par le livret de Métastase que l’œuvre se distingue. Sur une trame connue, Métastase écrit un livret d’une sensibilité rare, où l’hiératisme du discours religieux se fond dans l’étonnante humanité des personnages. C’est bien à un drame domestique que l’on assiste, même si celui-ci prend une résonnance biblique grâce à la musique, mais pas de la façon attendue. Caldara est un compositeur d’une inventivité extrême et refuse ici les formules stéréotypées. Bien plus qu’un simple écrin oublié dès la fin de la ritournelle, l’orchestre semble s’exprimer au nom de toute la création durant tout l’aria. C’est le bruit harmonieux de la nature entourant la première famille, nature muette mais omnisciente qui par la musique révèle ce que les personnages ne savent pas ou refusent de dire par contrition. Si Dieu est muet, l’orchestre est plein de sa présence. C’est donc un paysage panthéiste qui accompagne chaque chanteur, ou s’en détourne, et Caïn de dire son remords accompagné de trois tristes et seuls instruments graves, le trombone, le violoncelle et l’orgue.


© Marco Borrelli

Gianluca Capuano l’a très bien compris à la tête d’Il Canto d’Orfeo : l’ensemble respire, gémit, tremble, enveloppe telle une matière vivante. C’est contrasté, dynamique, précis, jamais gratuit, du grand art. Le chef livre sa meilleure direction du week-end. On ne sait si c’est un art consommé du rubato ou si la partition est écrite avec tant de dynamiques variées, mais nous sommes constamment tenus en haleine. La texture orchestrale est riche de pupitres très affirmatifs, colorés et néanmoins toujours attentifs à mettre en valeur les solistes. C’est une direction cinématographique qui met la focale sur les solistes avant d’enchainer la séquence en travelling sur l’environnement orchestral. Si l’on ajoute que tous les chanteurs sont parfaitement idoines pour leur rôle, on comprend que ce concert est historique. Si l’on en croit le livret, seules des parties de récitatifs ont été coupées.

Nahuel Di Pierro est un Adam terrien, bon père de famille, craignant toujours le pire pour ses fils et chantant son inquiétude avec une autorité fragile, sans jamais chercher à tonner. Cependant Caldara ne lui réserve que peu de moments mémorables.

L’Eve de Julie Fuchs transpire la tendre bienveillance maternelle. Elle est splendide dans son évocation du torrent, fébrile dans un angoissé et suraigu air de culpabilité, mais c’est son intervention finale qui nous bouleverse. Devant le cadavre de son fils, elle livre une berceuse douloureuse, celle de la pécheresse qui se sent responsable du crime de son fils et ne peut donc invectiver le sort qui l’accable, elle se courbe, résignée. La seule cadence du concert vient transfigurer le second couplet, magnifiquement écrite et transmise avec une douleur retenue. Et quel ambitus vertigineux ! Ses graves sur « crudel » sont saisissants.

Après un bel arioso d’entrée, Lea Desandre amène ce concert à son acmé : « Quel buon pastor son io ». Abel y décrit sa dévotion à son troupeau qui le pousse à se sacrifier pour le salut de ses agneaux. D’entrée, il acquiert une dimension christique tandis que l’orchestre crie sa désolation et semble anticiper le destin fatal du berger. Le contraste entre cet environnement très expressif, à la limite de la stridence, et la sérénité triste de la mezzo vous saisit à la gorge. Vous brûlez, comme les musiciens dans leur vallée de pleurs, d’avertir Abel du danger qui le guette, mais celui-ci y serait sourd, conscient de la cruauté du monde et pourtant plein d’espérance. Lea Desandre y adopte un ton bien moins tragique que Cecilia Bartoli et son sourire timide vous met au bord des larmes. A l’acte II, lorsqu’Abel décide de suivre Caïn au champ, inconscient du sort qui l’attend, il est néanmoins pris d’un désir irrépressible de confier à sa mère son amour filial et nous sommes encore bouleversés de ce trouble traduit avec une désarmante sobriété par Lea Desandre en état de grâce. Un de ces moments, où le critique lui-même, tellement absorbé par l’éclat du chanteur, est bien en peine plus tard de détailler l’objet de son admiration. Son émission très dense au vibrato serré en fait l’alter ego féminin idéal du Caïn de Christophe Dumaux.

Caïn est un personnage immédiatement jaloux et troublé. Le chiasme Caïn/Adam – Abel/Eve est évident. Les premiers sont inquiets, les seconds espèrent, mais la primauté de la faute unit Eve (premier péché) et Caïn (premier homicide). Christophe Dumaux, son émission perpétuellement agitée que l’on croit toujours au bord de l’essoufflement est un interprète idéal de cette figure rongée de l’intérieur. Il faut le voir courber la tête, la rage contenue et lancer ses invectives avec une hargne précise et une projection toujours percutante.

Nuria Rial possède un timbre tout indiqué pour jouer les anges. Dans son air sur le libre arbitre, ses accents invernizziens nous ravissent. Son aria di paragone décrivant le destin divers du suc de la fleur qui devient miel chez l’abeille et venin chez le serpent la voit évoluer de la terre à l’air avec une virtuosité caressante émaillée de notes piquées du plus bel effet. Son dernier aria est le plus original : accompagné d’un orchestre tantôt guilleret, tantôt au bord du chaos disharmonieux, l’ange y révèle à Caïn sa malédiction en vocalises célestes. Le criminel, le monde et les cordes tremblent à l’évocation de son destin, mais la parole angélique reste pleine de joie, confiante dans le dessein divin.   

Le Bachchor Salzburg se voit enfin employé à sa juste valeur. Sa prononciation exemplaire et la netteté de son canon final contribuent beaucoup à l’illumination de cette matinée.

 

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