Commanditée par Bordeaux et Nancy, cette production de Macbeth hybride la version de Paris de 1865 avec le final de la version originelle de 1847. Maître artisan de l’entreprise, le metteur en scène Jean-Louis Martinoty proclame pourtant sa fidélité à Verdi. Mais il veut aussi être fidèle à Shakespeare, au risque que le théâtre l’emporte sur la musique. Aussi sa démarche laisse perplexe, car si elle est cohérente sa pertinence n’aveugle pas. Partant de l’idée que dans Macbeth le crime – et donc la mort – est partout il demande à Bernard Arnould de créer une plate-forme précédée de trois larges degrés à l’avant-scène, et il y dispose, dès l’ouverture et aussi souvent que possible, des corps étendus, vivants inertes comme des gisants ou cadavres lamentables. En guise de décor une forêt de piliers tournant sur eux-mêmes, tantôt réceptacles d’arbres prisonniers, tantôt miroirs multipliant l’espace et les personnages et montrant leur revers. Ce dispositif impressionnant et spectaculaire se veut donc révélateur, mais il l’est au-delà du souhaitable, quand il capte aussi les activités de plateau en coulisse, ce qui distrait fatalement. Cette recherche de l’effet est perceptible dans les éclairages de François Thouret, destinés à souligner des paroxysmes dramatiques mais parfois répétitifs à la manière de réflexes pavloviens. Elle l’est aussi dans les costumes de Daniel Ogier, qui habille uniformément les sorcières en nonnes dont la nuque et le long voile dorsal portent un squelette, un systématisme étranger aux souhaits de Verdi pour ces marginales détentrices des secrets de la nature païenne. Elle l’est évidemment dans leur omniprésence, que ni Verdi ni Piave n’avaient prévue, et que nous percevons comme parasite de la musique et du face à face des consciences. Elle l’est encore dans le choix d’enfants pour représenter les futurs souverains issus de Banco, où nous voyons un moyen facile d’attendrir le public. Elle culmine dans les monstres inspirés des poupées de Bellmer qui dansent au troisième acte, après avoir figuré un charnier. Comme s’il fallait en mettre plein les yeux de peur que la musique ne soit pas assez suggestive…
Heureusement le plateau vocal ne présente aucune faiblesse notable. Quelques décalages fugaces dans les chœurs ne grèvent pas une prestation globalement satisfaisante. Aurélie Ligerot donne corps à son rôle de suivante bien qu’il soit exigu, comme Giorgio Trucco à celui de Malcolm. Le Macduff de Roman Shulackoff tarde à s’échauffer mais est sonore à point pour « La paterna mano » salué avec transport. En vraie basse Mikhail Kolelishvili, par ailleurs doté d’un physique marquant, n’a nul besoin de forcer ses limites et campe un Banco crédible, mais ne parvient pas à purger son chant de toute trace d’une phonation slave. Dans le rôle de Lady Macbeth, Ingela Brimberg apparaît en femme fatale étrangement empruntée scéniquement, peut-être à cause d’un fourreau qui limite sa liberté de mouvements. Vocalement elle a les notes du rôle et dans les ensembles on peut mesurer la force de la projection, même si ses graves manquent d’épaisseur, mais l’incarnation semble rester à la surface des mots, faute d’accents et de couleurs. Giovanni Meoni, dans le rôle-titre, donne un peu la même impression, au début ; mais progressivement il s’investit davantage et gagne en force de conviction. Etait-ce un choix pour faire évoluer le personnage, qui d’abord passif objet du sort en devient l’agent frénétique ? En tout cas vocalement il s’affirme sans effets histrioniques. On peut préférer des voix plus mordantes, mais cette interprétation est celle d’un musicien.
Dans la fosse Giovanni Carella connaît son Macbeth sur le bout des doigts. Aussi assure-t-il, en grand chef d’opéra qu’il est, l’accompagnement pour les voix, jamais contraintes à forcer, et dessine-t-il nettement les mouvements de l’architecture verdienne. Pourtant s’immisce parfois une impression d’application qui empêche d’éprouver l’émotion et le plaisir que donne ici, si souvent qu’on l’attend comme allant de soi, celle d’une fusion totale entre les intentions du chef et la réponse de l’orchestre. On apprendra plus tard que des circonstances particulières ont quelque peu perturbé le calendrier de travail. Tel quel, le résultat n’en reste pas moins très honorable et le public, largement chenu mais comme survolté, décrète un triomphe au rideau final.
Avant chaque acte, un tableau différent était projeté, accompagné d’une citation de Shakespeare. Œuvres de Ronan Barrot, ces toiles sont à rattacher au « romantisme fauve ». Leur caractère expressionniste évoque aussi bien Munch que Goya et annonce celui des sorcières dans la conception du metteur en scène. Une preuve de plus de la cohérence de celle-ci… mais celle de sa pertinence reste à faire. Si l’accumulation d’effets expressifs voulue par Jean-Louis Martinoty semble excessive, n’est-ce pas qu’il aurait sous-estimé la puissance de la musique ?