Après le TCE en novembre, puis Toulon pour les fêtes, cette Périchole arrive à Dijon, avant que Liège l’inscrive à son calendrier. Le lecteur retrouvera avec bonheur les comptes-rendus déjà publiés de cette réalisation (Un spectacle revigorant, puis Deuxième distribution de premier choix). Le monde de la rue au premier acte, laid, vulgaire à souhait, opposé à celui de l’aristocratie au deuxième, avec d’immenses miroirs mettant en valeur smokings et robes du soir (belles lumières de Michel Le Borgne), enfin une très large cellule carcérale et quelques treillis ajoutés pour faire bonne mesure. Chantal Thomas prouve une nouvelle fois son savoir-faire. La direction d’acteurs, millimétrée, concourt à l’efficacité de la mécanique dramatique. La distribution, aguerrie, se renouvelle pour part, avec quelques nouveaux solistes, comme avec les chœurs de l’Opéra de Dijon et l’orchestre Dijon Bourgogne.
Le spectacle est à la hauteur des attentes. L’approche de Laurent Pelly, cohérente, lisible, rend compte avec clarté et pertinence de l’action de La Périchole. L’idée fonctionne de transposer l’intrigue dans notre monde, avec un couple de marginaux qui fait la manche. C’est simple, efficace, virtuose souvent, quelque peu réducteur à défaut d’être fidèle. En effet, si la partition est respectée de façon scrupuleuse, les dialogues (adaptés par Agathe Mélinand) subissent un traitement visant à les actualiser. Certes, il est courant, particulièrement dans le genre, de pratiquer des coupures, des adaptations, mais, ici, le traitement auquel est soumis le livret en altère une dimension essentielle : la vérité de l’évolution psychologique de nos trois anti-héros, La Périchole, Piquillo et le Vice-Roi. Nombre de coupes ou de raccourcis nous font perdre cette richesse, cette subtilité. Même si cela échappe au spectateur découvrant l’ouvrage, on est également surpris par le parti pris de vulgariser, de trivialiser la langue de façon systématique, comme si nos loubards ne connaissaient que leur argot. D’autant que de souriantes allusions grivoises (« il est toujours gaillard, ce Vice-Roi… », par exemple) ont été censurées. Oublions la « bafouille » de La Périchole, qui a les « crocs » et cherche à « bouffer ». « Putain de pays ! », « saloperie de journée ! », « qu’est-ce que ça peut vous foutre ? ». Tout ça dérange d’autant plus que la dimension douce-amère du livret et de la musique semble estompée pour l’aspect déjanté et les gags. La tentative de suicide de Piquillo n’est pas la simple reprise de la parodie de celui de Papageno : on devrait y croire. A défaut de servir pleinement l’ouvrage, cette lecture, heureusement, ne fait pas obstacle au pouvoir expressif de la musique.
Piquillo (Philippe Talbot) à la Cour © Mirco Magliocca
De cette production on retiendra d’abord le lumineux Piquillo de Philippe Talbot. Familier du rôle, mais nouveau dans cette production, il nous vaut un amoureux touchant, sincère, toujours juste dans son jeu. Le deuxième acte, qu’il porte à bout de …voix, est admirable. Quant à l’émission, ample, épanouie, rossinienne, aux aigus naturels, elle n’appelle que des éloges. Il trouve pour son dernier air, « On me proposait d’être infâme », les accents sincères, émouvants, rares dans cette production. La Périchole d’Antoinette Dennefeld ne démérite jamais. La voix est solide, riche en couleurs. Dès l’air de la lettre, la démonstration est faite de la conduite de la ligne, de la longueur de voix, des qualités expressives. Cependant, le medium apparaît parfois un peu mince pour la salle la plus vaste où elle doive chanter le rôle. Son aisance scénique et son art de la diction lui permettent de camper une Périchole de grande qualité. Marc Barrard est impeccable en vice-roi, sous ses travestissements multiples, scéniquement irrésistible de drôlerie. Vocalement, il se montre exemplaire d’intonation, de diction et d’abattage. Dommage que la mise en scène amenuise la sympathie que devrait appeler l’émotion de la fin (« la jalousie et la souffrance »). Les trois cousines (Chloé Briot, Lucie Peyramaure et Valentine Lemercier), dans leur remorque-bar, chantent aussi trois dames d’honneur. Si le jeu est bien conduit, la projection fait quelque peu défaut quand elles chantent de l’intérieur de leur bar ambulant. Une mention spéciale au comédien Eddy Letexier, tour-à-tour Marquis de Tarapote puis vieux prisonnier : la voix, évidemment théâtrale, et le jeu sont convaincants. Tous les petits rôles sont excellents.
Le chœur, abondamment sollicité, se montre sous son meilleur jour, précis, équilibré, intelligible, assorti de mouvements scéniques complexes parfaitement synchronisés. Anass Ismat, qui le dirige, sera associé au chef lors des saluts, et l’aura bien mérité. Quant à l’orchestre, il sonne remarquablement sous la baguette experte de Laurent Campellone. Dès l’évocation de la lettre, dans l’ouverture, on sait que la soirée sera riche en émotions musicales. Energie, tonicité, franchise de ton font bon ménage avec le raffinement, des couleurs chatoyantes, et, surtout, des contrastes comme on entend peu. Un grand bravo à l’orchestre et à son chef, toujours attentif au plateau.
Un spectacle truculent, d’une approche soignée, d’où l’on sort heureux, mais quelque peu frustré par l’amenuisement de la dimension sensible et tendre. La réalisation, bientôt cinquantenaire, de Jérôme Savary avait fait son temps. Celle-ci sera-t-elle appelée à une longévité comparable ?