Fondée en 1968, l’association Les Tréteaux Lyriques compte 44 ans d’activité, ce qui en fait une des associations lyriques françaises d’amateurs les plus anciennes. Elle s’est spécialisée dans le répertoire d’Offenbach, dont elle produit tous les deux ans une des grandes œuvres. La troupe, constituée d’une quarantaine de chanteurs-comédiens, est aussi un tremplin pour jeunes talents. Elle est encadrée par des professionnels pour la mise en scène, le travail des chœurs, la direction musicale, l’orchestre, les décors et les costumes. ForumOpera.com suit leurs activités avec intérêt depuis 20091.
De toutes les compositions d’Offenbach, La Périchole est peut-être la plus complexe, tant musicalement que scéniquement. Espagnolade transposée au Pérou, pour des raisons faciles à comprendre (l’impératrice et son entourage), elle est en fait plus subversive et novatrice qu’il n’y paraît de prime abord, notamment dans les relations femme-homme. C’est dire que le rôle du metteur en scène est ici fondamental. Saluons le travail exemplaire d’Yves Coudray, aguerri à ce répertoire qu’il défend depuis de nombreuses années, notamment alors qu’il était le directeur artistique du festival Offenbach d’Étretat. Sa lecture de l’œuvre est à la fois d’une grande clarté et d’une grande précision, au point que l’on a un peu l’impression de la redécouvrir. La direction d’acteurs est soignée, privilégiant le côté sensible sans pour autant gommer les moments comiques, très efficaces, créant ainsi un grand équilibre entre les différentes facettes de l’opéra-bouffe. Cette mise en scène tout en finesse est remarquablement soutenue par la chorégraphie de Francesca Bonato, qui se joue de la relative exiguïté du plateau, et nous replonge dans les meilleurs moments de la troupe. L’ensemble de la fin du premier acte est à cet égard irrésistible. On apprécie également les beaux costumes de Michel Ronvaux. Mais tout cela ne serait rien sans le travail musical de l’orchestre Ad Lib et de son chef Laurent Goossaert qui, à partir de la version de 1874, a allégé l’orchestration sans en perdre l’esprit, et dirige avec doigté et humour un ensemble de musiciens qui se caractérise non seulement par l’excellence de son jeu, mais aussi par son implication dans l’aventure commune.
Delphine Hivernet (La Périchole) et Vincent Ducros (Piquillo) © Photo Les Tréteaux Lyriques
Delphine Hivernet, que l’on connaît par ailleurs pour ses talents de comédienne, est une excellente Périchole. Sa voix chantée, un peu retenue au début de cette soirée de première, trouve rapidement son assurance et s’affirme au fil de la représentation. Quant à sa voix parlée, elle est placée naturellement et n’est donc entachée d’aucun des défauts que l’on peut observer chez un grand nombre de chanteurs lyriques. Elle distille avec art et gentillesse ses airs, sans une once de vulgarité, celui de la lettre, de la griserie, mais aussi « Mon Dieu, que les hommes sont bêtes », et bien sûr « Tu n’es pas beau, tu n’es pas riche, et pourtant, je t’adore brigand ». A ses côtés, Vincent Ducros est un Piquillo à la fois drôle et émouvant, apportant au couple un équilibre parfait. Jean-Philippe Monnatte est épatant en vice-roi, encadré de ses deux sbires Jean-Philippe Alosi et Adrien le Doré, tous trois aussi bons chanteurs que comédiens. Les trois cousines paraissent encore bien sages et peu dévergondées, mais il leur reste quelques représentations pour affirmer un peu plus leurs personnalités. Une mention spéciale pour le désopilant prisonnier et son petit couteau de Marc Lesieur.
Les chœurs sont tout à fait excellents, tant vocalement que scéniquement, et l’ensemble de la troupe a bien travaillé l’articulation et la prononciation, ce qui rend intelligible les textes tant parlés que chantés. Ils jouent tous fort bien, et l’on se souviendra en particulier des policiers du dernier acte, dignes des bobbies des Pirates de Penzance. Bref, on passe vraiment un excellent moment, sans aucun temps mort, et l’on sort en fredonnant mentalement les airs les plus connus. Venez applaudir et soutenir cette sympathique équipe qui défend avec ardeur le spectacle vivant (rappelons que les bénéfices sont reversés à des associations caritatives).
Prochaines représentations les 27 et 29 janvier 2022 à 20 h 30, 30 janvier à 15 h, 3, 4 et 5 février à 20 h 30 et 6 février à 15 h.
1. La Princesse de Trébizonde en 2009, Le Pont des Soupirs en 2011, La Créole en 2013, La Vie Parisienne en 2015, Le Voyage dans la Lune en 2018 et La Grande duchesse de Gerolstein en 2020.