Cette production de La Périchole, déjà programmée au festival lyrique de Saint-Céré l’année dernière alors que sa création à Montpellier ne datait que de quelques jours, est revenue cet été dans le Sud-Ouest pour deux représentations avant de repartir en tournée jusqu’à la fin de l’année 2016. C’est dans le nouveau théâtre de l’usine, exploité pour la première année par le festival, que nous avons retrouvé la musique d’Offenbach servie par une troupe comme il n’en existe que trop rarement aujourd’hui, la compagnie « Opéra éclaté. »
Pour ce retour, les 400 fauteuils rouges de l’amphithéâtre – tous occupés ce soir-là – ont remplacé les bancs de la Halle des Sports de Saint-Céré. C’est enfin une véritable salle de spectacle à la hauteur de la programmation de ce festival dont s’est dotée la ville. Celle-ci offre une excellente visibilité à tous et une bonne acoustique même aux derniers rangs. Les particularités de ce nouveau théâtre ont largement influencé la direction musicale, la mise en scène et le jeu des interprètes, chacun ayant su savamment aborder toutes ces singularités en nous laissant toutefois un peu interrogatif concernant les prochains spectacles lyriques dans ce lieu.
L’orchestre tout d’abord. Ce soir, la fosse est en hauteur sur le côté droit de la scène rendant visible les musiciens à l’exception du batteur (pour une fois que ce n’est pas un contrebassiste !), ainsi que les gestes nets et énergiques du chef Dominique Trottein, grand habitué de la direction d’opéras, d’opérettes et de comédies musicales avec « Opéra éclaté. » Mais cette disposition rend quasiment impossible l’interaction avec les chanteurs, imposant au chef une direction musicale rigoureuse, voire métronomique. Est-ce un point faible ? Absolument pas ! Et cela pour deux raisons : la similitude de cet orchestre avec un Big Band est largement assumée, tant au niveau de sa composition, de son jeu franc et dynamique laissant tout de même peu de place aux nuances, que de la direction d’un chef indiquant le nombre de mesures avant certains passages tel un chef de fanfare. La seconde raison est l’osmose incontestable entre la scène et la fosse. Nous ne ressentons par conséquent aucune faille (les chœurs « C’est lui ! » à l’acte I et celui des courtisans à l’acte II sont d’une précision insolente) même si Piquillo doit lancer quelques regards pour jouer de son accordéon avec l’orchestre.
La mise en scène et le jeu des acteurs ensuite. Sans délimitation entre le plateau et le premier rang, les artistes ont pleinement profité de cette configuration pour créer un lien étroit avec le public. Piquillo fait ainsi l’aumône auprès des gens assis en première catégorie (tant qu’à faire !) après son interprétation avec la Périchole de « L’Espagnol et de la jeune Indienne. » Dans le même esprit, une des cousines s’incruste après l’entracte dans la fosse pour remplacer le chef d’orchestre. Afin d’accorder les instruments, elle demande le la à un public ne souhaitant qu’une chose : participer à la fête. L’apparition de la deuxième puis de la troisième cousine entraînera même un « olé » d’une salle conquise.
© guy rieutort
C’est qu’on se délecte pleinement de cette symbiose entre ces trois actrices, pourtant si différentes que sont Sarah Lazerges, Dalila Khatir et Flore Boixel. Chaque interaction de la troupe fonctionne à l’image du duo très « gay » d’Éric Vignau (Don Andrès de Ribeira) et de Yassine Benameur (Don Miguel de Panatellas). Hilarants avec leurs costumes de péruviennes, leurs mimiques et leurs danses grotesques, leur performance très personnelle reste longtemps en mémoire après la fin de leur prestation.
Le trio de vaudeville incarné par Sarah Laulan (La Périchole), Pierre-Emmanuel Roubet (Piquillo) et Christophe Lacassagne (le Vice-Roi) pétille, ce dernier confirmant avec ce rôle périlleux une bonne présence scénique et ses grandes qualités de baryton. Afin de se promener dans les rues de Lima sans être repéré, il débarque sur scène grimé en rappeur provoquant les rires du public et du chœur l’ayant vite démasqué.
Pierre-Emmanuel Roubet est quant à lui un Piquillo largement convaincant grâce à un jeu d’acteur sans faille et une interprétation précise que ce soit au niveau technique comme de l’intention avec notamment l’air « On me proposait d’être infâme » au début de l’acte III où l’on savoure de belles nuances sur les notes tenues en fin de phrase.
Mais la belle découverte de la soirée reste la Périchole de Sarah Laulan. La chanteuse dispose d’un timbre de mezzo sombre et ample et un jeu impertinent conforme à l’effronterie et au côté un peu rustre du personnage. Comme nous l’espérions, elle est particulièrement émouvante pour rédiger sa fameuse lettre, l’un des moments les plus exquis de la partition.
Suivis sans complexe par le costumier Jean-Michel Anagys, Olivier Desbordes et Benjamin Moreau aiment mélanger allégrement les époques et les références culturelles dans une mise en scène rythmée. Ces anachronismes apparaîtront jusque dans la musique, Offenbach se plaisant également à citer des pages célèbres en son temps. Ces clins d’œil amusants, grande habitude de Desbordes, prennent judicieusement à parti un public n’ayant pas forcément une culture de l’opéra.
Ainsi, malgré les costumes d’indiennes de Don Andrès de Ribeira et de Don Miguel de Panatellas, nous ne sommes pas au Pérou ; les ouvriers « Fellinien » ne nous propulsent pas dans la banlieue de Rome ; l’imposant trône argenté et la couronne grossière du Vice-Roi ne nous immiscent pas dans un palais, les touristes et les rappeurs ne nous entraînent pas au XXIe siècle… Nulle part et partout à la fois, cette disparité met en exergue l’universalité de cet opéra. Les baskets fluo côtoient de ce fait avec une cohérence surprenante les tenues de soirées, les costards sombres et les perruques blanches de type XVIIIe. Judicieusement équilibrés, ces costumes sont parfois d’une simplicité déroutante ou tombent dans le grotesque. Pour Jean-Michel Angays, les courtisans, les magistrats et le Vice-Roi « c’est le ministère de la Culture aujourd’hui : on s’agite, les dames en tailleur Chanel, les messieurs en petits costumes noirs cintrés. Juste la petite note de fantaisie qui montre que, tout de même, on est dans la Culture… ». Le ministère a certainement bien reçu le message !