Après deux décennies de parcours offenbachien émaillées de superbes réussites, avec la complicité de Laurent Pelly – à l’Opéra de Lyon, Orphée aux enfers en 1998, au Châtelet, La Belle Hélène en 2000 et La Grande-Duchesse de Gérolstein en 2004 –, Marc Minkowski poursuivait (chrono)logiquement sa trajectoire en abordant La Périchole, dernière grande œuvre d’Offenbach avant la guerre de 1870. Dernière opérette consacrée, mais à la gestation contrariée : la création en 1868 se solda par un échec, et la version que nous connaissons est celle de la reprise de 1874, en trois actes et quatre tableaux au lieu de deux actes et trois tableaux. Entre le printemps et l’automne 2018, le chef a dirigé non pas deux, mais trois versions de La Périchole : à Salzbourg, celle de 1868 ; à Montpellier, celle de 1874 ; à Bordeaux, enfin, une adaptation personnelle qui a connu les honneurs du disque. C’est cette production bordelaise qui est reprise à Versailles pour les fêtes, et qui draine à l’Opéra royal un public nombreux.
Pour des raisons dont on ignore si elles sont purement musicales ou en partie scéniques, cette « version Minkowski » ne retient qu’une partie des ajouts de la version 1874 et ne dépasse pas les deux heures. C’est un peu dommage, car la fin de l’œuvre prend un caractère abrupt, et c’est justement grâce à son acte supplémentaire qu’elle s’est inscrite parmi les « cinq grands » titres comiques d’Offenbach.
La Périchole à Bordeaux en 2018 © Vincent Begold
Cela dit, la production signée Romain Gilbert ne semble pas vraiment chercher à susciter chez le spectateur une quelconque identification et souligne plutôt l’artificialité de toute cette histoire. Le choix de situer toute l’action dans un décor fait de rideaux, d’ampoules lumineuses et d’une estrade crée une atmosphère de paillette, comme si La Périchole, histoire d’une chanteuse des rues, n’était au fond qu’un long numéro de cabaret. Tous les membres du chœur sont vêtus de noir, avec haut de forme pour les dames comme pour les messieurs. Visuellement, cela a du chic, mais c’est un peu froid aussi, un peu trop distancié, peut-être. D’autant que la mise en scène file la métaphore des pantins dont on tire les ficelles : le peuple de Lima est manipulé par ses dirigeants, Périchole et Piquillo sont marionnettistes, mais aussi, et de manière un peu moins claire, d’immenses squelettes articulés ornent la prison du deuxième acte, et l’on ne comprend pas très bien à quoi servent les deux marionnettes occupant des loges d’avant-scène, sauf à distraire le spectateur impatient pendant l’ouverture et les interludes orchestraux.
Dans ces conditions, on finit par adhérer moins en salle qu’à l’écoute du son des représentations bordelaises, même si certains déséquilibres se compensent. Fin diseur et très en voix, le vice-roi d’Alexandre Duhamel retrouve ici, notamment grâce à ses jeux de scène, la truculence dont le disque le dépouillait, même si le personnage, bien plus jeune qu’à l’accoutumée, est ouvertement caricatural. Présente dès Salzbourg, Aude Extrémo est le pilier sur lequel repose l’entreprise, toujours aussi impressionnante de timbre, d’aucuns diront surdimensionnée, mais assumant à fond son rôle d’opportuniste gouailleuse ; dommage que la production ne laisse guère la place à l’émotion. Sous la baguette de Marc Minkowski, Piquillo a d’abord eu la voix de Benjamimn Bernheim à Salzbourg, de Philippe Talbot à Montpellier, et de Stanislas de Barbeyrac à Bordeaux : Versailles propose un quatrième titulaire, François Rougier, sympathique incarnation mais dont on aimerait que l’aigu se libère davantage. Face au Panatellas délicieusement arrogant d’Eric Huchet, Anas Séguin parvient à s’imposer en Hinoyosa. Jusque-là simple dame d’honneur au deuxième acte, Adriana Bignagni Lesca ajoute son opulence sonore aux voix d’Olivia Doray et de Julie Pasturaud pour camper trois truculentes cousines. Le chœur de l’Opéra de Bordeaux se métamorphose en véritable chorus line et danse à merveille tout en chantant fort bien. Les Musiciens du Louvre ne sont pas en reste, et prêtent de belles couleurs aux espagnolades dont la partition est émaillée ; passé une ouverture jouée un peu trop fort pour le lieu, le chef montre pourtant qu’il aime et respecte cette musique. Dommage que le spectateur reste un peu extérieur à ce qui se joue devant ces rideaux pailletés.