A l’occasion de la rediffusion en streaming de La Princesse Légère (visible jusqu’au 31 mai 2020), nous vous proposons de relire ci-après le compte rendu de la représentation du 9 mars 2018.
Commande de l’Opéra Comique, ce premier ouvrage lyrique de la compositrice colombienne Violeta Cruz est le fruit d’un travail mené en symbiose avec les librettistes et toute l’équipe artistique. Le chantier de la salle Favart ayant pris du retard, sa création mondiale eut lieu à l’Opéra de Lille fin 2017.
C’est dans le cadre d’un événement annuel « Mon premier festival d’opéra » que ce spectacle étourdissant destiné à un large public (comprenant des séances scolaires et des introductions à l’œuvre avant chaque représentation) a été présenté à Paris.
Durant une heure trente la mise en scène indescriptible de Jos Houben et Emily Wilson, n’accuse aucune faiblesse et les douze scènes riches en rebondissements s’enchaînent sans pause. Victime de la vengeance d’une méchante sorcière qui lui a jeté un sort le jour de son baptême, une Princesse, privée de sa « gravité », flotte dans les airs au grand désespoir de ses parents. Depuis sa tendre enfance sous forme d’une mini carotte cocktail, disparaissant au moindre courant d’air, jusqu’à son aventureuse jeunesse en robe vaporeuse de couleur orange où elle s’amuse à survoler le royaume puis à s’ébattre dans un lac, les péripéties se succèdent dans une veine à la fois excentrique et poétique. Pivot dramatique : la scène hilarante où l’héroïne est soumise à l’examen des docteurs Malofoi et Déjanthés qui déclarent au couple royal : « Il faut la faire pleurer ». Ayant découvert l’amour d’un Prince polyglotte prêt à mourir pour elle, la Princesse ensorcelée décide de le sauver. Après avoir réussi, elle fond en larmes et peut enfin marcher.
Grande originalité de ce conte musical atemporel : les éléments de décors (paravents, bascule, tourniquet…), les accessoires, même les costumes et les paroles, participent non seulement visuellement mais aussi musicalement à l’action dramatique. Au moyen de capteurs, les sons électro-acoustiques étranges, les sons frottés et les chutes d’objets… contribuent à créer une espèce de masse sonore hétérogène expressive qui ne heurte jamais l’oreille. Chuchotements, bafouillages, borborygmes, surgissements inopinés de plaisanteries puériles ainsi que toute une gamme de rires se mêlent aux rimes d’un texte ludique.
© Pierre Grosbois
Simultanément, dans la fosse, le chef d’orchestre Jean Deroyer dirige fermement les dix musiciens instrumentistes de l’Ensemble Court-Circuit spécialiste de la création contemporaine. Alors que parfois, Alexandra Greffin-Klein (violon), Jean-Etienne Sotty (accordéon) et Bogdan Sydorenko (clarinette), se mêlant aux acteurs-chanteurs, interviennent sur scène pour les accompagner.
Après un grand rire orchestral, la chanson de la Princesse permet d’apprécier le soprano aérien et bien articulé de Jeanne Crousaud au moment où elle devient une jeune fille. Le Prince Jean-Jacques L’Anthoën, lui, fait entendre sa séduisante voix chaude de ténor pour l’air « I shall wait for her ».
Nicholas Merryweather (le Roi) et Majdouline Zerari (la Reine) ont peu à chanter mais, présents du début à la fin, ils tiennent leurs rôles avec autorité. En travesti, le comédien-chanteur, Guy-Loup Boisneau, campe une impressionnante sorcière, plus animale qu’humaine. Il est à noter qu’afin de permettre la fusion immédiate avec l’électronique, les voix sont nécessairement sonorisées.
Dans leurs costumes aux couleurs acides et aux articulations marquées, incroyables d’inventivité, tous les personnages se transforment en figurines rigolotes coiffées de drôles de chapeaux et de perruques bizarres. Ils désertent la réalité pour évoquer avec bonheur le monde de l’enfance peuplé de jouets et de marionnettes.
Compte tenu de l’intensité du spectacle, cette première parisienne remporte un succès mesuré. Parions que pendant le week-end qui a suivi, il aura rencontré une complicité plus débridée devant son véritable public.