Pour son premier spectacle de la saison, l’Académie a décidé de présenter un succès de la production lyrique des trente dernières années, lié à un compositeur toujours aussi actif dans le domaine de la création scénique. Le choix est judicieux pour plusieurs raisons. Depuis quelques années, La Ronde de Philippe Boesmans semble en effet occuper une place à part dans le calendrier des programmateurs. La version de chambre réalisée par Fabrizio Cassol n’y est sans doute pas pour rien, puisqu’elle permet à de jeunes chanteurs de s’approprier l’œuvre sans devoir passer au-dessus d’un orchestre sachant se montrer parfois bruyant. En exposant dans chacune des dix scènes un couple dans une relative intimité, Boesmans met en valeur dix vocalités différentes, taillées sur mesure pour beaucoup de chanteurs.
Mettre en scène La Ronde est doublement dangereux : le spectacle n’est que faussement prévisible dans son déroulement, car chaque scène possède son existence propre, et ne dépend pas de ce qui la suit ou la précède. Par ailleurs, ces dix tableaux de la vie bourgeoise dans la Vienne fin-de-siècle nécessitent chacun une identité forte, défi d’efficacité qui ne laisse passer aucun relâchement dans l’investissement. Malgré toute son intelligence, la mise en scène de Christiane Lutz pèche en ce point précis. Conçue pour l’Amphithéâtre Bastille (scène aux moyens tout de même plus réduits que ceux d’un théâtre normal), elle tente de résumer l’action dans un décor unique. Si l’ingéniosité de Christian Andre Tabakoff permet de moduler le mur du fond au gré des scènes (tantôt bar, cheminée, boîte de nuit etc), ce qui se passe au devant de la scène ne convainc pas toujours. La direction d’acteurs demeure assez maladroite (ces portes invisibles qu’on ouvre et que l’on referme), ne reposant que sur le charisme de chaque chanteur, les déplacements de décors sont plutôt laborieux et on ne sait trop que penser de la lecture d’ensemble de l’œuvre. Les belles images vidéo du scénographe s’avèrent ici un précieux secours.
© Studio j’adore ce que vous faites !
Heureusement, l’Académie, c’est aussi et surtout l’assurance de (re)découvrir les talents qui se cachent parmi les recrues des deux dernières années. Si Sarah Shine et Juan de Dios Mateos ne sont pas les plus convaincants de la distribution (l’allemand leur fait certes défaut mais les rôles ne sont pas non plus les mieux servis), la mezzo Jeanne Ireland peut s’enorgueillir d’un timbre rond et d’un aigu chaud et coloré, ainsi que d’une réelle présence scénique. Autres voix remarquables de la soirée, celles du duo Jeune Femme/Jeune Homme incarné par Marianne Croux et Maciej Kwaśnikowski. Le timbre frais et la projection impeccable de la soprano vont de pair avec un jeu tantôt humoristique et décalé, tantôt plus mélancolique. Même si l’allemand du ténor est perfectible, louons avant tout le timbre brillant et dégagé de sa voix, mise particulièrement à l’épreuve dans les nombreux aigus de cette partie. La basse de Mateusz Hoedt demeure un brin monolithique et sa prononciation se teinte volontiers de voyelles russisantes, mais il n’en est pas moins un mari sinistrement crédible. La rondeur et le timbre sombre de la mezzo Farrah El Dibany sont remarquables (et on l’imagine volontiers en Carmen), mais force est de constater que ce timbre opulent ne convient peut être pas tout à fait à la jeune fille que requiert le livret. Côté projection, le timbre de Jean-François Marras ne semble souffrir d’aucune entrave, mais un jeu plus effacé et un allemand assez franchouillard viennent altérer la qualité de sa prestation. Sofija Petrović évolue tout à fait dans son élément, puisqu’elle se donne à fond dans son personnage de diva, pour le plaisir du public. L’interprétation est d’autant plus crédible qu’une projection à peine croyable pour une si jeune voix fait trembler les murs de l’amphithéâtre. De fait, le comte de Danylo Matviienko en apparaît un peu en retrait, mais clôt la distribution sur une performance honorable.
A la direction de l’Orchestre-Atelier Ostinato, Jean Deroyer manie la partition avec précision, tirant de son ensemble – bien que réduit – des sonorités qui rappellent le grand orchestre prévu initialement par Boesmans. L’acoustique assez sèche de l’amphithéâtre ne sert pas toujours les ensembles, mais la virtuosité instrumentale de chacun des musiciens suffit pour donner à la partition son relief nécessaire.
En attendant la finale nationale de Voix Nouvelles en février 2018 à l’Opéra Comique, le public parisien peut se réjouir du renouveau de voix jeunes présentées dans ce spectacle.