Après Berlin, New-York et Milan, et en attendant Madrid, c’est au tour de Londres d’accueillir Placido Domingo dans le rôle titre de Simon Boccanegra. Apparemment guère affecté par ses problèmes de santé récents, le « baryténor » espagnol est apparu au sommet de sa forme, légèrement amaigri, d’une aisance et d’une agilité scénique remarquables. Vocalement et théâtralement on ne constate pas de grandes différences avec ses incarnations précédentes dans ce même rôle, étrenné en septembre 2009 à Berlin : c’est toujours un ténor que nous entendons, à l’aise sur l’ensemble de la tessiture, avec un léger vibrato davantage perceptible dans le bas medium. Le timbre est toujours inimitable, cuivré et chaud, en adéquation avec ce personnage de pirate bon père de famille. Scéniquement, c’est au dernier acte que l’artiste fait légèrement évoluer son personnage, en proposant un Boccanegra, vieillard usé et brisé. Au global, et quelles que soient les réserves qu’on puisse faire vis-à-vis de cette trahison des intentions du compositeur, le résultat reste magistral et contribue à populariser une œuvre malheureusement malaimée du grand public.
A ses côtés, on retrouve un autre vétéran avec le Fiesco de Ferrucio Furlanetto pour lequel j’avoue avoir un certain faible : certes la voix est toujours aussi engorgée, désormais limitée dans l’aigu qu’elle ne fait qu’effleurer (le fa du second « Osi a Fiesco proporre un misfatto? » devient un ré !), mais elle reste étonnamment fraiche et sonore, riche en harmonique, en particulier dans le grave, dépourvue de vibrato et, dramatiquement, le personnage sait éviter la caricature.
Déception prononcée en revanche avec l’Amelia de Marina Poplavskaya : le timbre est riche dans le medium où la chanteuse offre quelques beaux pianissimi, mais la voix rétrécit très vite dans le haut de la tessiture jusqu’à des aigus pincés et à la valeur souvent écourtée.
Autre mauvaise surprise, le Paolo de Jonathan Summers, usé jusqu’à la corde, graillonnant, au timbre gris et qui se comporte sur scène comme la caricature d’un méchant de film muet.
Signalons en revanche, l’excellent Pietro de Lukas Jakobski qui, dans ce rôle très secondaire, laisse entrevoir des moyens intéressants.
Finalement, c’est à Joseph Calleja que nous devrons les plus beaux moments de cette soirée. Il est amusant de noter que le ténor maltais reprend ici le rôle où s’illustra Placido Domingo pour la dernière fois en ces mêmes lieux en 1997 (dans la version originale, plus « belcantiste » et dans une production nettement supérieure de Ian Judge donnée en alternance avec la présente mise en scène). En continuel progrès, le chanteur maîtrise mieux son court vibrato, la projection est confondante, le timbre chaud, le style impeccable avec des registres mixés sans solution de continuité entre la voix de poitrine et la voix de tête. Seul regret, une émission encore un peu laryngée. Ajoutez-y un impact scénique indéniable et vous tenez là le grand triomphe de la soirée.
A la tête des forces du Royal Opera, Antonio Pappano offre une lecture élégante, très sombre mais trop alanguie au prologue, manquant au global de tension. La scène du Conseil tombe ainsi à plat faute de nerf. Les scènes plus élégiaques sont sans doute plus réussies, mais au final, le chef américain peine à offrir une vision cohérente de ce Simon Boccanegra. On a coutume de dire que l’opéra de Verdi est une « œuvre de chef » : bizarrement, celui-ci n’était pas au rendez-vous.
La production d’Elijah Moshinsky traine depuis plus 1991 : autant dire qu’il ne reste plus grand-chose des intentions originales du metteur en scène, si tant est qu’il y en eut. Les décors de Michael Yeargan sont un mélange du jeune Pizzi et d’un Zeffirelli rattrapé par la rigueur budgétaire, contrainte qui semble avoir également frappé les éclairages de John Harrison, dont la seule chose positive à dire, c’est qu’ils ne contribuent pas au réchauffement planétaire. Passons également sur les costumes de Peter J.Hall généralement tristounets sauf pour la tenue du Doge aux couleurs épouvantablement criardes.
Le croiriez-vous ? Bien que cette production soit sans doute la plus faible depuis le début de la « tournée Domingo », il semblerait que ce soit elle qui ait été choisie pour sortir en DVD1 : comme quoi, le « patriotisme économique » n’est pas un vain mot pour les « majors » 100 % anglo-saxonnes.
1 On se rappellera que l’édition londonienne de « La Fille du régiment » avec, en duchesse de Crackentorp, une Dawn French qui ne faisait rire que quelques anglais (surtout elle-même) a été préférée à la version viennoise où s’illustrait pourtant une impayable Montserrat Caballé dans le même rôle …. Une recherche sur Internet achèvera de vous convaincre que la qualité des représentations n’est pas le principal critère de leur publication…