La voilà donc cette Traviata qui avant même d’avoir succombé de fluxion sur la scène de l’Archevêché agitait déjà les esprits. Attendue par le public, impatient de découvrir dans l’un de ses opéras favoris l’une de ses chanteuses préférées, guettée par la critique comme le chasseur sa proie, Natalie Dessay s’est longuement préparée à cette prise de rôle qui représente l’aboutissement d’une conversion vocale dont on a déjà longuement débattu. Que la soprano, transmuée de colorature en lyrique à force de travail et de volonté, ne possède pas l’exact format vocal de Violetta relève de l’évidence. Que son interprétation ne laisse pas indifférent l’est tout autant quand on sait le soin avec lequel la chanteuse envisage l’aspect théâtral de chacun de ses rôles. Sa Traviata, pensée à sa juste mesure par Jean-François Sivadier, n’est pas une courtisane magnifique qui se consume de phtisie dans une robe à crinoline mais une petite femme qui meurt d’amour, tout simplement. Et c’est ainsi qu’elle finit par nous toucher, poupée à la perruque peroxydée, brimbalée comme fétu de paille sur une scène trop grande pour elle. A l’image exactement d’une voix fragile, au volume limité, que les élans de la partition (« Amami Alfredo » et même le brindisi) écrasent de leur lyrisme et qui s’accomplit davantage dans la langueur délétère de mouvements plus modérés. Le troisième acte, hormis la détresse d’un « Gran Dio ! Morir si giovine » hors de portée, accomplit alors les promesses contenues auparavant par un « Ah fors’è lui » et un « Dite alla giovine » tracés à la pointe fine d’un chant dont la musicalité et la maîtrise du souffle demeurent exemplaires. Et c’est debout que le public salue l’exploit au tomber de rideau.
De la mise en scène de Jean-François Sivadier, on a dit qu’elle n’existe qu’au travers de Natalie Dessay. Il faut en accepter le postulat pour pouvoir l’apprécier. D’un esthétisme négligé dans un opéra qui d’habitude exalte le goût bourgeois, les costumes et les décors participent à cette conception d’une Violetta femme déchue plus qu’hétaïre. Priment alors le travail sur l’expression en symbiose avec la musique et la façon dont le metteur en scène s’emploie à mettre à nu les sentiments. Une histoire d’amour sans dimension sociale avec en filigrane une volonté de proposer un regard original sur une œuvre trop connue, en accord avec la personnalité de la soprano vedette : là est le secret.
Le même principe semble avoir guidé une direction d’orchestre raffinée au point de paraître quelquefois impassible. Louis Langrée, tout à ses chanteurs, préfère l’introversion à la flamboyance, de la même manière que Charles Catronovo privilégie la ligne à l’éclat. Cet Alfredo à l’aigu malheureux (pourquoi donc tenter la contre note de la cabalette quand elle est facultative ?) finit cependant par s’imposer à force d’engagement.
A l’opposé, Ludovic Tézier reste sur la réserve, sans que l’on parvienne à déterminer s’il s’agit de cette raideur qu’on lui connaît parfois ou d’un parti-pris scénique (quelle place doit occuper Germont dans une œuvre que l’on a amputée de sa dimension sociale ?). Vocalement, le contraste est tout aussi frappant. La noblesse, l’ampleur, le phrasé sont ceux d’un grand baryton verdien quand le reste de l’affiche, pour l’essentiel, va à l’encontre de ce que l’on a l’habitude de voir et d’entendre. Tradition ou modernité ? Le public choisit selon ses goûts et l’artiste ses moyens.
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En direct sur Arte le 16 juillet, à 21 h 30, puis tout l’été sur Arteliveweb.com. Diffusion publique en direct sur grands écrans le 16 juillet, à 21 h 30, au Théâtre Silvain, Promenade corniche John Kennedy, à Marseille et au Théâtre de Verdure au Jas de Bouffan à Aix-en-Provence. Entrée libre.