Sept ans après sa première in loco et sa reprise en 2012 hors les murs, voici la chatoyante production de Mazzonis di Pralafera de retour à l’Opéra Royal de Wallonie restauré dans toute sa splendeur d’antan. Avant le lever du rideau, et avant même d’avoir entendu les premières notes du génial prélude qui font pressentir les ingrédients du drame, nous sommes d’emblée invités à jouer les voyeurs par le biais d’un jeu de miroirs en forme de trou de serrure. Loin d’une mise en scène conceptuelle, il s’agit ici d’une élégante mise en images du chef-d’œuvre de Verdi.
Du rouge vif au blanc pur, en passant par toute la gamme de roses délicats, ce sont des projections de gigantesques fleurs de camélias avec leurs épais pétales en rangs serrés qui vont — hormis durant la fête chez Flora à la fin du deuxième acte — habiller les parois des décors successifs. Satins rouges moirés, étoffes moelleuses, mouchetées, brodées, ou fleuries… Le luxe un peu vulgaire des costumes colorés (de la regrettée Kaat Tilley) ainsi que les maquillages à la limite de l’outrance, situent fort à propos les personnages dans le monde décadent de la bourgeoisie repue et amorale dominant la société occidentale au milieu du XIXe siècle. Alors que le gimmick du trou de serrure est utilisé de manière récurrente pour coller au parti-pris initial de voyeurisme, la scénographie a fréquemment recours à des lits de style rococo dont la tailles varie selon la nature des scènes : orgiaques, amoureuses, intimes ou tragiques… Quelques belles poupées d’époque fantasmées sont appelées en renfort pour aider Violetta à franchir les différents caps de son trajet psychique. Le tout est éclairé avec un art consommé.
Maillon fort de cette représentation : l’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie. La direction experte de Francesco Cilluffo fait rendre aux instrumentistes les mille nuances de la partition et la phalange liégeoise, avec le concours des chœurs, tient remarquablement son rôle de narrateur. Tout en laissant aux chanteurs l’espace qui leur est dévolu, il donne à entendre dans toute sa plénitude la musique de Verdi. Comme il se doit, elle déferle, se répand en irrésistibles rythmes de danses effrénées, s’épuise et renaît avant d’atteindre d’autre sommets inimaginables et de se briser à nouveau…
Mirela Gradinaru (Violetta) et Javier Tomé Fernández – © Lorraine Wauters – Opéra Royal de Wallonie
En dépit d’un attirail visuel symbolique fort, les chanteurs – y compris les chœurs souvent statiques et en retrait de l’action – paraissent livrés à eux-mêmes sur le plan gestuel. Ce manque de direction d’acteurs se ressent à un degré plus ou moins sensible chez les trois principaux protagonistes qui peinent à donner leur meilleur. A commencer par la Violetta de Mirela Gradinaru, peu convaincante durant les deux premiers actes. D’entrée, l’oreille est heurtée par un timbre strident, surtout dans les suraigus. Cependant, la soprano roumaine ne démérite pas vraiment. Il lui faudra esquiver bien des embûches, notamment le terrible « Sempre libera » avec ses vocalises meurtrières sur le mot « Gioir !.. » ou encore « Ah no, giammai ! » Grâce à une solide technique de chant et une bonne diction, elle parvient à tirer son épingle du jeu dans un rôle qui ne convient ni à son tempérament de comédienne ni à sa typologie vocale. Néanmoins, au dernier acte, elle saura se montrer fort émouvante et sincère. Ce qui lui vaudra au rideau final la reconnaissance du public.
Sans avoir le velours des grands interprètes du rôle, le ténor espagnol Javier Tomé Fernández, un peu gauche en scène au début, possède une voix puissante bien projetée ainsi que la jeunesse et l’énergie requises pour incarner Alfredo. Il met toute la fougue nécessaire pour emporter l’adhésion, aussi bien dans l’envoûtant « Di quell’amor » qui introduit le magnifique duo d’amour avec Violetta que dans le fameux « De miei bollenti spiriti » du deuxième acte. Ce dernier air est chanté au lit au réveil avec une petite dose d’indolence sensuelle, perceptible dans la personnalité du chanteur. L’un des meilleurs moments de la soirée.
Hormis une mise en scène statique, le début du IIe acte permet à Mario Cassi de faire valoir sa belle voix de baryton au timbre chaud et musical. Durant la longue scène, pivot du drame, qui se joue entre Violetta et Germont père, on reste hélas sur sa faim sur le plan dramatique. Toutefois, sans être d’anthologie mais fort agréable à entendre, l’air « Di Provenza il mar, il suol… » fait mouche.
Parmi les comprimari, on retient l’excellente voix d’Alexise Yerna (Flora Bervoix) et la basse bien chantante d’Alexei Gorbatchev (Dottor Grenvil). Enfin, la fête chez Flora permet de savourer les très beaux chœurs locaux avant que la mort de Violetta, particulièrement poignante comme on l’a dit, ne vienne conclure en beauté cette Traviata liégeoise sous les applaudissements nourris d’une salle comble.