2018, année faste à Munich puisque le Bayerische Staatsoper célèbre cette année ses 100 ans d’existence. Et l’Opernfestspiele n’est pas en reste avec une programmation à faire pâlir d’autres institutions voisines… Parmi les reprises attendues, deux représentations seulement de La Traviata dans la mise en scène de Günther Krämer, habitué des lieux (cette Traviata y a déjà été présentée en 2003 puis 2009).
Disons-le sans fard, ce n’est sans doute pas pour admirer le lustre géant couché près du lit de douleur de Violetta et encore moins pour la balancelle d’Alfredo au II que le tout-Munich s’est déplacé en nombre sur la Max-Joseph Platz ; c’est qu’il y avait aussi du beau monde sur scène et dans la fosse. Ne tirons pas sur une mise en scène connue, souvent décriée (n’est-ce pas toutefois le parcours obligé de toute lecture d’une pièce qu’on pense ne jamais redécouvrir tant elle nous est familière ?) et dont on aura cette fois remarqué particulièrement le statisme. Oui, sur l’immense scène du Nationaltheater, les chœurs, remarquables au demeurant, mais aussi les protagonistes semblaient avoir du mal à trouver la fluidité nécessaire dans les déplacements. Au III, nous l’avons particulièrement noté. Les décors d’Andreas Reinhard, sobres et soignés, les costumes sans surprises de Carlo Diappi ont concouru quant à eux à la réussite de la soirée.
Il y a beaucoup de bien à dire du Bayerisches Staatsorchester. On lui retrouve des qualités invariantes, comme un soyeux des cordes (ce premier accord du prélude issu de nulle part…) que les Viennois ne dédaigneraient pas ou une belle mise en valeur d’un pupitre particulier (clarinette et hautbois). La direction de Asher Fisch aura toutefois interrogé ici et là. Le tempo était lent, soit, mais d’une lenteur parfois pesante, nous y reviendrons. Il y avait une belle mécanique en tout cas dans la fosse, une mécanique qui fait exactement ce qu’on lui dit de faire.
La Traviata est une œuvre à trois personnages ; les seconds rôles n’ont guère pour briller ou tenter de se mettre en avant que le III, où ils partagent, avec le chœur, la première moitié de l’acte. Christian Rieger fut pourtant un Douphol un peu pâlichon, Rachael Wilson fut en revanche une Flora pleine d’entrain et de présence. Matthew Grills proposa quant à lui un Gaston impeccable.
Simone Piazzola avait quelque peu déçu en Renato du Bal Masqué à Paris. Sa prestation munichoise en Giorgio nous aura laissé perplexe. Le baryton est dense, sans chaleur particulière mais ferme et puissant, les graves en revanche (il en a peu dans sa partition) sont un rien faiblards. C’est surtout la conduite de la ligne de chant qui nous aura interrogé. Il ralentit le tempo de ses deux airs du II d’une façon à notre avis excessive et inconsidérée. Excessive car on en finit par perdre la phrase tant elle s’étire, et surtout il transforme ses deux arias en concours de la note tenue. Certes Simone Piazzola a du coffre et de l’endurance mais nul n’est obligé de transformer systématiquement une blanche pointée ou une ronde en un point d’orgue sans fin… Le franc succès aux applaudissements nous aura laissé songeur sur la justesse de ces ovations… Ne lui enlevons pourtant pas ses mérites : son jeu est vrai et sa présence en impose.
Le duo d’amoureux a fait chavirer la salle. Il faut, avant d’évoquer les individualités, parler du couple que forment sur scène Charles Castronovo et Diana Damrau. Avant de nous tirer les larmes au IV, comme il se doit (on notera au passage que les lamentations finales et conjointes d’Alfredo et Giorgio sont omises au moment où Violetta meurt tandis que le rideau tombe), tous deux nous ont gratifiés de moments envoûtants dûs à la parfaite alliance des deux timbres. Le duo du I est le premier grand moment de la soirée (un peu de tension était encore sensible pendant le Brindisi) et la scène finale du II enchanteresse.
Charles Castronovo possède, il faut le dire, la voix idoine. Le timbre n’est pas solaire mais il est assuré et fougueux ; la projection n’empêche pas la délicatesse y compris dans la gravité. Il a su conférer au personnage d’Alfredo la part d’ombre qui sied à celui qui pressent que le chemin avec Violetta ne sera pas de tout repos. Castronovo, remarqué notamment à Toulouse dans Don José, s’impose aujourd’hui comme un acteur important du circuit.
Diana Damrau n’en finissait pas, l’autre soir, de montrer à ses aficionados (disons plutôt à ses Liebhaber !) le plaisir qu’elle a de chanter à Munich, chez elle en quelque sorte. Elle est revenue saluer alors que la salle était au 3/4 vide, consciente sans doute d’avoir « sur-performé ». On pourrait consacrer un article entier à cette prestation, tant elle fut riche, non exempte d’interrogations, mais surtout incarnée de la première à l’ultime minute.
À l’évidence, une maîtrise de soi incomparable, qui lui fera choisir sans doute au dernier moment de contourner l’obstacle du mi bémol du « sempre libera ». Mais qu’importe, tant tout le reste était vrai, vécu (d’où certains accents véristes aux I et II, soulignés par une respiration bruyante, des sanglots et même des pleurs appuyés, qui, étrangement, auront disparu au IV). Il n’y avait pas un instant de relâchement dans la concentration, Diana Damrau s’est donnée corps et âme à un rôle auquel elle a su conférer, au fil des années, une coloration personnelle. Sa Violetta est une maîtresse femme, qui choisit son destin, qui ne lâche jamais, et que seule la maladie fera tomber. Aujourd’hui la voix de Diana Damrau semble avoir atteint une plénitude que l’on voudrait figer dans le temps.
Hâte de la découvrir cet automne à Paris dans la nouvelle production des Huguenots de Meyerbeer.