La salle de l’Opéra Bastille qui se lève d’un même élan dès qu’Ermonela Jaho apparaît devant le rideau à la fin de la représentation, voilà ce qu’on appelle une rentrée en fanfare !
Stéphane Lissner ouvre donc avec succès sa première saison lyrique à la tête de l’Opéra de Paris par la reprise de La Traviata montée en juin dernier (la première nouvelle production arrivera le 19 septembre avec Il Barbiere di Siviglia).
La production de Benoît Jacquot avait pourtant peu convaincu Christophe Rizoud lors de sa création (voir son compte rendu). De fait on ne rajoutera que peu de choses à ce qui avait été dit. Les décors sont réduits à leur plus simple expression, quelques objets pour caractériser chaque tableau, un lit géant, un arbre ou un escalier. Grâce aux éclairages d’André Diot, cela donne parfois de belles images, telle cette lanterne qui éclaire les personnages dans le premier tableau de l’acte 2. Encore eût il fallut faire vivre ces tableaux : les scènes de foule sont particulièrement inanimées, avec en particulier un chœur totalement statique (à l’exception des entrées et sorties). Les scènes intimistes fonctionnent davantage, comme la rencontre entre Violetta et Germont, grâce à l’engagement des chanteurs, particulièrement Ermonela Jaho, nous y reviendrons.
Si beaucoup de seconds rôles sont identiques à la création (notamment Anna Pennisi en Flora, Cornelia Oncioiu en Annina ou Fabio Previati en Barone Douphol), les principaux protagonistes sont eux totalement renouvelés.
Le rôle-titre est donc tenu par Ermonela Jaho, au soprano plus nourri et sombre que celui de Diana Damrau qui interprétait Violetta en juin. L’étoffe est soyeuse, voire mordorée et les aigus répondent présents, avec un contre mi bémol couronnant la cabalette « Sempre libera ». La technique est souveraine avec notamment de beaux trilles, mais ce sont les mezza voce et autres notes filées impalpables qui marquent particulièrement et donnent le frisson. Si l’on devait chercher la petite bête, on pourrait espérer un peu plus de brillant dans le « Sempre libera », bien que toutes les notes soient là, et déplorer quelques effets véristes qui gagneraient à être gommés. Mais que sont ces broutilles face à l’évidence de l’incarnation ? La soprane albanaise vit sa courtisane avec une intensité bouleversante, se livre sans réserve, terminant visiblement épuisée aux saluts. Parvenir à donner la chair de poule à l’Opéra Bastille, voilà une gageure !
Ermonela Jaho (Violetta) © E. Bauer
Son amant prend les traits de Francesco Meli. Le chanteur génois a parfaitement réussi sa reconversion en ténor verdien, lui qui brillait il y a encore quelques années dans les répertoires rossinien ou du bel canto romantique. Il a gardé de ce passé un souci constant des nuances, qu’il partage avec sa partenaire. Sa voix sait se faire caressante dans son duo « Parigi o cara » à l’acte 3, mais possède également une projection impressionnant dans les éclats. Tout juste pourra-t-on déceler une crispation palpable sur certains aigus. Son père, Dmitri Hvorostovsky est ovationné à la fin de « Di Provenza il mar, il suol ». Prestance scénique, aigu aisé et legato infini, il ne fait qu’une bouchée du vieillard implacable. Son face à face avec Violetta à l’acte 2 est un des sommets de la soirée, vocalement d’abord avec les deux voix se mariant à merveille mais aussi dramatiquement, la jeune fille se brisant littéralement sur sa morgue.
Le reste de la distribution est idoine voire luxueuse avec notamment Florian Sempey, futur Figaro sur cette même scène, en marchese d’Obigny.
On retient de la direction de Dan Ettinger un souci constant de l’animation. Certains tempi et accélérations peuvent surprendre (« Parigi o cara »), mais il n’y a aucune tiédeur ni routine dans cette direction, attentive aux chanteurs et qui met en valeur les belles couleurs de l’Orchestre de l’Opéra National de Paris. On notera quelques menus décalages avec le chœur, impeccable par ailleurs, qui seront réglés au cours des représentations ultérieures.