Natalie Dessay l’a dit et redit à la presse, le récital est un exercice où elle se sent mise à nu, privée des masques et accessoires du théâtre. Pourtant, avec la complicité du pianiste Philippe Cassard, elle vient d’enregistrer un récital Debussy, dont on lira prochainement ici le compte rendu, et se prête actuellement à une tournée qui doit la mener de Montpellier (voir recension) à Londres, en passant par Genève, Toulouse et Paris. Le programme ne change guère, à quelques détails près toutefois : Paris s’est vu réserver la création mondiale de la ballade « Les Elfes », la plus longue de toutes les mélodies inédites de Debussy, et une surprise de dernière minute a été ajoutée en première partie, avec le « Rondel chinois », non prévu. Presque tout le contenu du disque est ici livré au public, plus trois mélodies fin-de-siècle et un nocturne de Fauré. C’est donc un déshabillage en règle auquel on devrait avoir droit. « Devrait », car la nudité de l’interprète apparaît tout à fait partielle, et le récital a parfois des airs de strip-tease à l’envers, où l’on se rhabille peu à peu. Parmi les choses que Natalie Dessay a laissées au vestiaire avant d’entrer en scène, il y a d’abord son articulation. On ne comprend pas grand-chose aux paroles de certaines mélodies. Mais après l’entracte, la soprano revient avec une diction raffermie, et l’on ne perd rien de la magnifique « Invitation au voyage » qu’elle propose, ni de la « Chanson pour Jeanne » de Chabrier, sorte de kindertotenlied hexagonal où Debussy voyait ce que la mélodie française avait produit de meilleur, explique Philippe Cassard. Pour ce récital, Natalie Dessay semble aussi s’être dépouillée d’un peu de sa voix : mise à nu, peut-être, mais les premières mélodies sont comme voilées, et il faut attendre l’ajout opportun du « Rondel chinois » pour que, saisissant le trapèze volant que lui envoie le jeune Debussy, la chanteuse se libère et s’épanouisse dans ce numéro de voltige composé en 1881 pour la belle Marie-Blanche Vasnier (voir son portrait ci-contre).
Dès lors, la voix brille de tout son éclat, même si, à force de se mettre à nu, on risque de prendre froid : ce dimanche, la chanteuse tousse, certes beaucoup moins que le public, et beaucoup moins bruyamment ; le son pâtit néanmoins de quelques « trous » minuscules, quelques craquements, non pas dans l’aigu, intact et virevoltant, mais dans le médium. Peut-être cette toux inquiète-t-elle Natalie Dessay, qui commence son récital en se frottant les mains comme une Lady Macbeth cherchant à éliminer la tache indélébile. Si la chanteuse est nue faute d’un costume de scène (elle arbore ici la même robe-bustier en lamé argent qu’à Montpellier), elle ne s’est nullement départie de ses gestes et mimiques habituelles. Les sopranos aiment à montrer que les aigus leur coûtent des efforts, et c’est de bonne guerre, toute peine mérite salaire, mais est-ce parce qu’on émet des suraigus qu’il faut sur-jouer cette comédie, en grimaçant, genoux fléchis, les yeux clos ? Dans ces mélodies très vocalisantes, Natalie Dessay est tout à son affaire, elle ravit, et son talent d’actrice lui permet de vivre admirablement ces textes : on la sait tentée par la comédie, le rôle de meneuse de revue lui va comme un gant, mais ne pourrait-elle se dévêtir de ce genre d’oripeaux et oser la vraie nudité de la récitaliste ? En bis, « Nuit d’étoiles », la toute première mélodie de Debussy ; « Le Matelot qui tombe à l’eau », sa plus courte, sur un texte de Maurice Bouchor qui aurait pu inspirer Poulenc ; et le dernier air de Lakmé. « C’est bien parce que c’est vous », dit la Dessay au public avant de livrer un « Tu m’as donné le plus doux rêve » qui vous donne la chair de poule. Après lui avoir adressé une ovation méritée, les spectateurs font vingt mètres de queue pour faire dédicacer leur disque « Clair de Lune ». Natalie, mais promène donc toi toute nue !
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Les Grandes Voix Dessay — Paris (Pleyel)
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Détails
Natalie Dessay, soprano
Claude Debussy
Romance, inédit
Romance (L’Âme évaporée)
Les Cloches
L’Archet, inédit
Rondel chinois
Clair de lune, pour piano
Clair de lune
En sourdine
Fête galante
Pierrot
Apparition
Emmanuel Chabrier
Chanson pour Jeanne
Ernest Chausson
Le Temps des lilas
Henri Duparc
Invitation au voyage
Gabriel Fauré
Nocturne n° 4, op. 33, pour piano
Claude Debussy
Coquetterie posthume
Regret
La Romance d’Ariel
Les Elfes, inédit, création mondiale
Philippe Cassard, piano
Les Grandes Voix
Salle Pleyel, Paris, dimanche 26 février, 16h
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