C’est une composition enthousiasmante qu’a proposée l’ensemble TM + dirigé par Laurent Cuniot au Centre Dramatique National de Sartrouville mardi 9 novembre. La Vallée de l’étonnement, fait partie en effet de ces petites formes opératiques qui, malgré une économie de moyens, parviennent à trouver une vivacité créative, parfois absente des grandes maisons.
Le livret de Sylvain Maurice est librement inspiré de The Valley of Astonishment de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne : Sammy Koskas non seulement découvre qu’il possède une mémoire extraordinaire, mais en plus, comprend que sa façon de percevoir le monde est fort différente de ses semblables puisqu’il associe systématiquement les mots et les sons à des couleurs et des images. Dès lors, le dilemme pour ce personnage consiste à apprivoiser ses « deux » mémoires : celle éclatante et hors-norme, qui lui permet d’impressionner les foules en tant que mentaliste lors de shows d’ampleur, et celle paradoxalement plus commune, enfouie, douloureuse, qu’il ne peut manier aussi aisément que la première.
A cette tension intérieur-extérieur, s’ajoute donc le motif de la synesthésie qui se prête fort bien à une composition opératique. Reste à savoir comment l’image peut « devenir » son et réciproquement.
La première réponse repose évidemment dans la partition d’Alexandros Markeas. Avec une formation originale (piano, percussions, clarinette, saxhorn, contrebasse et accordéon), son écriture dynamique recherche des couleurs de timbre particulièrement plaisantes, parfaitement exécutée par les musiciens de TM+ et les chanteurs. Comme un peintre pointilliste, il a le souci du détail et sait capter les mouvements émotionnels et intellectuels du bouillonnant protagoniste ; ce qui ne l’empêche pas de maîtriser l’ensemble, étirant progressivement le temps, des scènes de confrontations saccadées initiales aux explorations intimes finales.
© ChristopheRaynauddeLage
Le charme de cette production repose aussi sur le revêtement presque sur-mesure des personnages par la distribution. Sammy Koskas est porté par la pétillante soprano Agathe Peyrat, qu’on trouve d’habitude au sein du chœur Aedes. Aussi appliquée pour sa diction que pour son jeu, son timbre clair sied parfaitement à ce juvénile personnage : espiègle dans les rythmes et les syllabes du parlé-chanté, elle sait aussi être touchante dans les parties lyriques plus solides, épaisissant son personnage.
Il est aussi plaisant de retrouver les deux barytons Paul-Alexandre Dubois et Vincent Bouchot, rarement ensemble sur scène. La complicité, voire la gémellité (dans le style plus que dans la voix) de ces deux chanteurs expérimentés du théâtre musical, s’accorde parfaitement aux rôles des deux scientifiques dépassés et incapables d’aider le protagoniste. De même, la voix tonitruante de baryton-basse de Philippe Cantor confère à ses personnages – le chef de la rédaction et le patron du cabaret – une autorité dérisoire amusante.
La mise en lumière colorée et la vidéo sont adroitement utilisées, participant largement à la dimension poétique de la pièce. L’ensemble souffre toutefois d’une mise en scène un peu étriquée ; un jeu plus déployé aurait permis de ne pas sentir une certaine longueur dans la mise en place du noeud de l’histoire.
La fin n’en demeure pas moins réussie, et l’on est content de rapporter jusqu’à chez soi une mélodie hypnotisante et des souvenirs colorés.