Cette production en français de La Vestale, œuvre aujourd’hui très rarement jouée mais qui fut un énorme succès dans les années qui suivirent sa création, a été élaborée au Théâtre des Champs Elysées à Paris, où elle fut donnée en octobre 2013 avec un succès très mitigé. Devant une distribution différente, c’est Jérémie Rohrer qui assurait alors la direction musicale.
La mise en scène (Eric Lacascade) a été un peu adaptée pour tenir compte de l’espace particulier du Cirque Royal, mais la conception reste identique : sur un plateau quasi nu, tantôt place publique où se déroulent les réjouissances, tantôt temple antique où brûle le feu sacré, lieu de supplice et de rédemption, évoluent les cinq acteurs du drame, entourés de nombreux choristes et figurants, comme si le metteur en scène avait voulu placer le peuple au cœur de son spectacle. Les costumes (cuir noir pour les hommes, longues chemises blanches et perruques rousses pour les femmes) évoquent un univers intemporel, placé sous le signe de l’austérité et de la rigueur, non dépourvu d’une certaine violence.
L’orchestre est placé dos au public (et donc face à la scène), et le chef dirige tantôt tourné vers le plateau et tantôt vers l’orchestre, sans vraiment convaincre ni dans un sens ni dans l’autre, nous y reviendrons.
Si, par son dépouillement même, le visuel ne manque pas d’une certaine grandeur, la direction d’acteurs semble très inadaptée au rythme propre d’une tragédie lyrique, ralenti par la beauté – mais aussi par l’intensité – de la ligne vocale, que le metteur en scène cherche à meubler par des petits détails sans intérêt (les objets qu’on se passe de main en main, les mouvements sans cause ni raison des figurants ou du chœur…), détails qui révèlent davantage le manque d’inspiration qu’un travail approfondi de recherche du sens. Cette fadeur générale et ces petits faits inutiles nuisent considérablement à la tension dramatique : le spectateur n’est pas conduit, l’émotion est lente à venir et retombe mollement sans avoir atteint son but, l’anecdotique l’emporte sur l’essentiel.
Quelques détails posent question ou semblent même de véritables contresens : ainsi par exemple au dernier tableau, c’est une vestale qui rallume le feu éteint, alors que seul un signe des dieux, le tonnerre, peut expliquer qu’on gracie la condamnée. Doit-on comprendre que ce sont les hommes qui rendent la justice divine ? Mais rien de ce qui a précédé ne va dans ce sens, de sorte que cet embryon d’idée isolé tombe à plat. Et quelle est la signification de cette perruque rousse dont on dépouille la malheureuse Julia lorsque sa faute est découverte ? Comment croire à la passion des coupables amants lorsque leur étreinte semble aussi glaciale que brève ? Toutes ces questions resteront sans réponse.
L’œuvre est pourtant loin d’être inintéressante, qui marque le passage vers le romantisme et annonce Berlioz par bien des aspects ; la partition orchestrale recèle des passages de toute beauté, la ligne vocale est très soignée, même si la prosodie semble parfois imparfaite. Les grandes scènes d’ensemble qui terminent le premier et le deuxième actes sont particulièrement réussies, avec leurs plans sonores bien distincts entre orchestre, chœurs et solistes. La toute fin de l’œuvre, sorte de happy end inattendu, semble quant à elle bien démodée et, sur le plan musical, frise le ridicule avec ses roucoulades de harpes et sa légèreté feinte.
Cinq solistes tentent de défendre la partition. Dans sa partie masculine, la distribution est fort satisfaisante : Yann Beuron campe un Lucinius solide et cohérent à la diction claire servie par une voix bien timbrée. Julien Dran donne charme et vie au personnage secondaire de Cinna, et Jean Teitgen impressionne par sa prestance, son intensité dramatique et la profondeur de sa voix dans le rôle du Souverain Pontife. Sylvie Brunet-Grupposo (la Grande vestale) possède des moyens exceptionnels : le volume et la couleur de sa voix conviennent très bien au rôle, mais à la fin du grand air du premier acte, lorsqu’arrivent les vocalises au sommet de la tension dramatique, ces belles qualités disparaissent et la voix semble tout à coup insuffisante. Déception globale dans le rôle titre pour Alexandra Deshorties dont la voix souple et le timbre, trop peu caractérisé, manquent de dramatisme et de puissance pour le rôle. En insistant sur le caractère ordinairement humain de son héroïne – que la musique contredit sans cesse – le metteur en scène finit par nous raconter une histoire à laquelle on ne croit guère et qui, faute de crédibilité, ne génère que trop peu d’émotion.
C’est du côté de l’orchestre que la déception est la plus grande. Pour quelle raison Alessandro de Marchi a-t-il voulu se donner un défi supplémentaire par une disposition aussi inconfortable de l’orchestre ? Comment insuffler énergie, charisme et précision à ses troupes lorsqu’on leur tourne le dos ? Pourquoi n’a-t-on pas jugé bon d’uniformiser la prononciation de tous les chanteurs, dont certains roulent les R est les autres pas ? De nombreux décalages, des entrées très approximatives de la part de chanteurs pourtant chevronnés, peu soutenus par le chef, furent la cause de nombreuses imprécisions de tempo, voire même de quelques moments de confusion, nuisant à la lisibilité d’une partition peu connue du public. Les richesses qu’elle contient méritaient certainement plus d’amour et de soin.
En définitive, cette reprise d’un spectacle de conception assez faible semble avoir été trop peu travaillée, ou avec trop peu de rigueur, et a paru empreinte, jusqu’au salut final complètement désordonné, d’un certain laisser-aller, peu en ligne avec les exigences habituelles de la grande maison bruxelloise.