« Il faudrait une bonne fois pour toute s’entendre sur le terme opérette car sous ce pavillon se cache une armada de productions n’ayant pas grand-chose en commun avec ce que j’entends, moi, par opérette. » Ce n’est pas un hasard si on peut lire cette phrase de Franz Lehár dans deux articles différents du programme de La Veuve Joyeuse à Tours. Car le spectacle, proposé en partenariat avec Avignon, Rouen, Strasbourg, Rennes et Marseille, ne veut pas, sous prétexte de musique légère, jouer les parents pauvres de l’opéra.
Au contraire, la mise en scène de Jacques Duparc prend le parti d’un esthétisme luxueux. Des décors et des costumes différents à chaque acte et une transposition de l’action dans des années 50, très haute couture, qui ne cherche ni à moderniser, ni à dépoussiérer la pièce mais vise d’abord à accentuer son caractère intemporel. L’ensemble respecte à la lettre un livret qui n’a pas besoin d’artifices pour faire ses preuves. Fidèle à l’œuvre donc, à son esprit joyeux et aux moyens requis, dans la mesure du possible, par le compositeur : « Les meilleures scènes du monde, les meilleurs solistes, les meilleurs réalisations scéniques : des conditions de travail comparables à celles que l’on met au service d’autres productions lyriques ».
Ainsi l’effectif des chœurs a été renforcé et l’orchestre, au grand complet, déborde de la fosse (certains instrumentistes sont placés sur les loges de côté). La distribution, à l’exception du luron de l’histoire, Kevin Levy (Njégus), réunit des noms qui appartiennent d’abord au monde de l’opéra mais qui évoluent avec aisance dans la sphère, délicate, de l’opérette. Sophie Marin-Degor compte à son catalogue certaines des plus grandes figures du répertoire : Pamina, Donna Anna, Blanche de la Force, Mélisande… Son chic et sa silhouette font merveille en Hanna Glawari, un rôle qui vocalement ne la présente pas toujours sous son meilleur jour. Didier Henry, est un comte Danilo dont le cynisme désabusé s’accommode d’une certaine maturité. Jacques Duparc passe de la mise en scène à la scène en enfilant l’habit, cousu de fils burlesques, du Baron Mirko Zeta. La Valencienne de Catherine Dune pétille et bien qu’annoncé souffrant, Christophe Berry en Camille de Rosillon ne manque pas de vaillance. Autour d’eux, les seconds rôles, d’où se détache le Cascada sonore de Roman Nédélec, déploient la même énergie pour rendre la soirée étincelante. Et de fait, actionnées avec autant de professionnalisme, qu’il s’agisse de chant comme de théâtre, les ficelles délicieusement surannées de la Veuve joyeuse fonctionnent encore. On passe un très bon moment. Plusieurs fois, un rire franc et massif secoue la salle.
Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions. Dans sa volonté de fidélité à Franz Lehár, l’Opéra de Tours a opté pour la version chantée en allemand tout en conservant les dialogues en français. Ce parti-pris, on ne peut plus justifié pour une affiche internationale (l’Opéra de Paris avait fait ce choix en 1997), désavantage des artistes tous francophones et, pour certains d’entre eux, place la barre trop haut. Die lustige Witwe a d’autres exigences que La Veuve Joyeuse. Au disque, Elisabeth Schwarzkopf interprétait la première tandis que dans un autre registre mais avec autant de brio, Micheline Dax était la seconde. Nicolas Gedda et Siegfried Jerusalem chantèrent Rosillon quand Andre Mallabrera suffisait à Coutançon. On mesure avec ces quelques exemples l’écart qui séparent les deux versions et le déséquilibre qu’entraîne le choix d’une version hybride. Un hiatus que l’on entend jusque dans la fosse d’orchestre. S’il dirige aussi bien Aïda que Dialogues des Carmélites, Emmanuel Joel-Hornak a prouvé depuis ses débuts en 1993 dans Les Brigands d’Offenbach à l’Opéra Bastille, ses affinités avec le répertoire léger et français. En contradiction avec la partition retenue, c’est le caractère national de sa direction précisément que l’on retient : limpide, vif, sans l’excès de rubato dont les chefs d’orchestre viennois enveloppent la musique de Lehár. Une musique qui, selon le compositeur, « n’est pas difficile » mais « veut seulement apporter ce dont chaque homme a besoin : de la joie et un peu de soleil ». A Tours, malgré la confusion des langages, son vœu a été exaucé.