Les Bordelais n’ont jamais été si proches de la vie parisienne que depuis l’ouverture de la LGV (Ligne à Grande Vitesse) cet été. Ils rallient désormais Paris en 2 heures. Pour fêter dignement la chose, la ville a mis en place une foisonnante saison culturelle dans laquelle s’inscrit cette nouvelle production de La Vie Parisienne d’autant plus que c’est dans une gare que débute le chef d’œuvre de Jacques Offenbach. Vincent Huguet, longtemps collaborateur de Patrice Chéreau, a travaillé au plus près du texte du livret pour offrir une interprétation déjantée de la version de 1873, allégée d’un acte. Sa mise en scène est à la fois très inventive, pleine de fantaisie et totalement moderne. L’esprit d’Offenbach est parfaitement rendu, satirique, léger et irrévérencieux : les gandins d’hier ont viré hipsters, c’est Deliveroo qui livre le souper… Grâce aux costumes de Clémence Pernoud, toute la faune de la Fashion week est là, de Karl Lagerfeld à Sonia Rykiel en passant par un travesti grimé en Madame de Fontenay et lorsque l’habit de Bobinet « craque dans le dos », il dévoile la robe de Mireille Darc dans le Grand Blond avec une chaussure noire ! Les moments les plus absurdes sont amenés avec tant de naturel que l’on y adhère sans réserve.
On observe la même énergie joyeuse dans les passages dansés : Kader Attou se joue avec gourmandise des codes de la danse classique pour proposer une création tutu-plateau/baskets diablement efficace. Les jeunes danseurs du ballet de Bordeaux sont très au point et leur intervention devant l’opéra au moment de l’entracte emporte l’adhésion. Faire sortir le spectacle des murs de l’institution, mieux l’inscrire dans la ville pour en faire profiter ses habitants, voilà des thèmes chers aux autorités de tutelles actuellement. Quel dommage que la diffusion en plein air prévue la veille ait été annulée pour cause de grève des techniciens, la fête aurait été plus belle encore… Quoi qu’il en soit, ce moment de danse – superbement mis en musique par Régis Baillet – est une totale réussite qui satisfait de manière aussi maligne qu’originale aux impératifs du temps.
La fosse n’est pas en reste de cette jubilation collective et Marc Minkowski, directeur du Grand Théâtre, ne mérite que des éloges. Il connaît bien le petit Mozart des Champs Elysées dont il a déjà dirigé brillamment les œuvres à l’Opéra de Lyon ou encore au Théâtre du Chatelet. Il nous en offre ici une version parfaitement maitrisée avec des tempi très allants, des nuances et des reliefs ciselés qui mettent en valeur chaque pupitre de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine.
Comme toujours avec ce type de répertoire, le rythme est primordial et la direction d’acteur extrêmement précise de Vincent Huguet fait beaucoup pour animer constamment le plateau, en caractérisant tous les protagonistes, y compris les artistes du choeur qui s’en donnent à c(h)oeur-joie si l’on peut dire, manifestement ravis de pouvoir jouer autant que chanter.
La Vie Parisienne © Vincent Pontet
Les solistes bénéficient bien entendu pleinement de ce travail au cordeau qui permet de découvrir toute une galerie de personnages délicieusement incarnés par la fine fleur du chant français.
Qu’elle campe Micaëla, Angiola ou Tatiana, le timbre soyeux, les graves amples et ronds de Marie-Adeline Henry nous réjouissent toujours, mais quel plaisir de la découvrir dans un rôle aux antipodes de ces incarnations romantiques, dans la peau d’une Métella avec mini-jupe en cuir et perfecto qui ne manque pas de chien. La soprano connaît déjà le rôle qu’elle a notamment interprété à Avignon et y fait merveille.
Elle tient la dragée haute à plusieurs ténors épatants, tous excellents comédiens : Philippe Talbot campe un Raoul de Gardefeu doté de beaux médiums, d’aigus bien couverts même si parfois sa voix se perd derrière l’orchestre. Il forme une paire tout en contraste physique, mais doté de la même aisance scénique et vocale avec Enguerrand de Hys dont le phrasé est particulièrement remarquable. Mathias Vidal, quant à lui, reprend à la volée le rôle du Brésilien qui lui va fort bien vocalement – tout comme les perles en sautoirs qu’il arbore, d’ailleurs –. Il se trouve un peu en difficulté dans le début de son premier air en raison d’un tempo très rapide qui lui fait éluder les finales mais retrouve toute son assurance dès la seconde partie du morceau.
Complétant avantageusement la distribution, Marc Barrard est un baron bonhomme et naïf, impeccable vocalement tandis qu’Aude Extrémo compose une baronne d’excellente tenue, à la ligne claire et sensuelle. La Gabrielle d’Anne-Catherine Gillet est piquante à souhait, forte d’un timbre fruité et pourtant très percussif, aux aigus aisés.
Pour rendre justice à ce bel esprit de troupe, il faudrait encore citer la très jolie Pauline d’Harmonie Deschamps comédienne impliquée aux superbes aigus, la Louise magnifiquement projetée d’Adriana Bignani Lesca, le Joseph plein d’aplomb d’Aubert Fenoy, le Gontran à la diction remarquable de Luc Default… Tous embellissent de leurs personnalités bien trempées cette fantaisie pleine de saveur et de vitalité qui nous mène tambour battant à l’assaut de la capitale.