La Vie Parisienne : trois heures de réjouissances, trois heures de rythmes affolants, airs, duos, ensembles qui nous sont tous plus familiers les uns que les autres. La Vie parisienne c’est une fête permanente comme celle organisée dans le grand salon de l’hôtel de Quimper-Karadec, où le spectateur trépigne de se joindre aux festivités ; ce sont aussi des situations vaudevillesques, des quiproquos, des triangles amoureux, des mouvements incessants, des rencontres, des rapprochements. N’en jetons plus ! En un mot c’est un opéra-bouffe dans la plus belle acception du terme. Quelle frustration alors, l’autre soir à la Halle aux Grains de Toulouse, d’assister à une simple version concert, alors que cette production a tourné en Belgique dans la mise en scène, les décors et les costumes de Christian Lacroix ! Rarement plus que ce soir-là, nous aurons regretté l’absence de ce qui est l’essence même de l’opérette : une authentique proposition scénique avec décors, costumes et mise en scène foisonnante. Frustration du spectateur bien sûr qui, dans une version « à nu » finit par se perdre dans les méandres de l’intrigue puisque parfois les mêmes chanteurs jouent deux voire trois rôles différents : Pierre Derhet est alternativement le Brésilien, Gontran et Frick, Philippe Estèphe tour à tour Urbain et Alfred, et enfin Carl Ghazarossian chante les rôles de Joseph, Alphone et Prosper (tous trois remarquables) ! A moins de connaître par cœur le livret de la version de 1866, pas facile pour le spectateur de s’y retrouver et c’est une partie du sel de l’affaire qui s’échappe.
Mais il faut se demander si la frustration n’est pas encore plus vive chez les chanteurs, entièrement cantonnés à leurs places (à cause de micros fixes, à des fins d’enregistrement) et dont les seuls déplacements se font des chaises aux pupitres ! Ainsi quand Mme de Quimper-Karadec au IV tente de séduire Gondremarck et lui demande de s’approcher d’elle, plus près encore, le pauvre baron ne peut rien faire d’autre que trépigner sur place à défaut de se mouvoir. Il faut rendre un hommage particulier aux chanteurs d’avoir malgré tout soulevé des trésors d’inventivité pour faire vivre une intrigue pétillante : mimique, postures, ronflements, gesticulation, tout est mis en œuvre pour pallier l’absence de mise en scène et même de mise en espace.
© Romain Alcaraz
Une fois posé cela, n’oublions pas l’essentiel : la proposition musicale et vocale de cette Vie Parisienne est enthousiasmante. Un enthousiasme du reste communicatif ; au fil des cinq actes et des trois heures vingt qu’a duré la soirée, le public s’est pris au jeu, de même que les chanteurs et, au final du V, l’ambiance était vraiment à la fête dans la salle et sur la scène.
On doit cette – malheureusement unique – représentation à l’association du Palazetto Bru Zane et de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Toulouse qui se souvient encore de la version Plasson de cette Vie Parisienne, il y a plus de cinquante ans, version heureusement enregistrée avec Mady Mesplé et Régine Crespin au firmament de leurs carrières. Romain Dumas nous propose ce soir la version intégrale et originale de 1866, en cinq actes, donc avant les révisions de 1873 et la suppression de l’acte IV (de fait le moins réussi musicalement). Saluons la juvénilité et l’enthousiasme communicatifs de ce chef qui impose des tempi souvent très rapides. Le chœur du Théâtre du Capitole joue le jeu, non sans difficulté comme dans le numéro introductif (« Nous sommes employés de la ville de l’Ouest » sans les coupures qui interviendront dans le version de 1873) et ses chausse-trappes rythmiques qui obligent à une concentration immédiate.
La distribution vocale est éblouissante et sans réelle faiblesse. Les voix sont admirablement choisies et ce sont celles qui conviennent bien à ce genre musical : clarté, agilité, fraicheur. Autant d’attributs que possèdent Artavazd Sargsyan (un Gardefeu qui a gagné en assurance tout au long de la représentation), et Marc Mauillon (Bobinet, joueur et pimpant à la projection mesurée). Le clan des Quimper-Karadec (Marie Gautrot qu’on aurait bien aimé voir jouer sur scène ainsi que ses trois acolytes Louise Pingeot en Clara, Marie Kalinine en Bertha et Caroline Meng en Madame de Folle-Verdure) nous a bien amusé. Jérôme Boutillier est un baron désopilant : diction claire et belle étendue de la tessiture. Sa baronne Sandrine Buendia est parfaitement assortie ; là encore on louera l’agilité dans les moments rapides. Véronique Gens est une Metella de grand luxe ; elle domine vocalement le rôle avec toute la noblesse qu’on lui connaît ; Elena Galitskaya est une Pauline dont la musicalité est une des qualtés. Anne-Catherine Gillet enfin est une Gabrielle extraordinaire ; elle complète par sa fraicheur, sa maitrise technique un ensemble parfaitement homogène qui redonne, s’il en était besoin, tous ses quartiers de noblesse à un genre musical encore souvent sous-estimé.