Dans le cadre du mini-cycle consacré à la compositrice et chanteuse américaine, Caroline Shaw du 20 au 23 novembre à la Philharmonie de Paris, la soirée du 22 était dédiée à ses œuvres vocales amplifiées a cappella ainsi qu’à celles de deux autres phénomènes de la scène créative outre-atlantique, Leilehua Lanzilotti et William Brittelle.
Et c’était aussi l’occasion de découvrir l’ensemble Roomful of Teeth, dans lequel Caroline Shaw a souvent chanté par le passé, forte de son passé de jeune choriste au sein de l’Eglise Épiscopalienne. Roomful of Teeth est un groupe créé par Brad Wells en 2009 prouvant en effet au concert qu’il constitue une formation idéale permettant à la compositrice née en 1982 d’explorer et de repousser (selon son vœu) les capacités expressives de la voix humaine. Sans conteste un point commun de toutes les œuvres chantées en ce vendredi 22 novembre, pour la plupart en création française.Pour commencer, deux œuvres de Caroline Shaw sont programmées. The Isle, en 5 parties d’une durée d’un quart d’heure, œuvre inspirée de didascalies et de passages de La Tempête de W. Shakespeare, multiplie les performances en termes d’expérimentation vocale, du murmure au cri, du chant lyrique à la parole, du bégaiement aux mots, du halètement à la respiration pulsée. Empruntant parfois à la forme de l’antienne ou du monologue quasi baroque, de l’homophonie ou des suites d’accords incluant la totalité du système occidental de douze notes, cette pièce met à l’honneur l’excellent niveau technique de l’ensemble formé de quatre femmes et trois hommes, aux rôles peut-être traditionnels (deux sopranos, mezzo, alto, ténor, etc) mais capables des plus beaux raffinements coloristes sans vibrato comme des interventions les plus ludiques.
Viennent ensuite trois extraits de la Partita for 8 Voices, qui a valu à la plus jeune compositrice jamais récompensée l’unique Prix Pulitzer de la Musique attribué à une œuvre vocale a cappella. Elle a été composée dans le cadre d’une résidence au Massachusetts Museum of Contemporary Art entre 2009 et 2011 en collaboration avec Roomful of Teeth. Chaque mouvement, comme on peut s’y attendre avec le titre choisi, s’élance des caractéristiques de la suite baroque traditionnelle (Allemande, Sarabande, Courante) mais s’en émancipe aussi vite pour livrer un discours inouï fait de chant humain sans paroles, de murmures et autres procédés chers à Caroline Shaw. Y sont travaillés les juxtapositions mélodiques, les rythmes complexes, le processus du phasing à la Steve Reich et Terry Riley, bref un bain sonore où s’ébrouer et se laisser porter.
Après l’entracte, la superbe pièce On Stochastic Wave Behavior de la compositrice Leilelehua Lanzilotti, née en 1983, déroule ses entrelacs et superpositions vocales inspirées des traditions de son Hawaï natal. En résulte un trip hypnotique et savant qui impressionne par sa poésie et sa force de suggestion, évoquant l’océan et son flux et reflux dans un style que ne renieraient pas ses illustres prédécesseurs. Après ce sublime moment suspendu, la pièce de William Brittelle, Psychedelics, accompagnée cette fois d’un synthétiseur, convoque en un chaos de sons et de mélodies venues de tous horizons y compris rock, les souvenirs musicaux de l’auditeur comme la possibilité de s’échapper de ses réflexes en termes d’attente acoustique pour une œuvre de long format. Là encore la ductilité et aussi la puissance des voix de Roomful of Teeth fait merveille.