En 1698, à l’apogée d’une carrière pour le moins atypique, au cours de laquelle il fut notamment musicien sous la protection de la duchesse de Guise et compositeur pour les Jésuites, Marc-Antoine Charpentier se voit confier, à l’âge de 55 ans, le prestigieux poste de maître de musique des enfants de la Sainte-Chapelle du Palais. Il occupera cette fonction jusqu’à son décès, six ans plus tard, en 1704. Cette nomination marque la consécration de son parcours, qui, bien que riche et varié, s’est souvent déroulé en marge des cercles officiels de la cour royale. Cette série de concerts proposée par Sébastien Daucé est l’occasion de rendre hommage au compositeur et à ses contemporains. Alors que son unique tragédie lyrique, Médée, a été jouée à guichets fermés en avril dernier au Palais Garnier, l’œuvre sacrée de Charpentier reste encore relativement ignorée du grand public.
Le premier concert, intitulé « La Voix des anges », rend hommage à la musique interprétée dans les couvents de religieuses au XVIIe siècle, une époque où ces institutions prospéraient à Paris, notamment grâce au renouveau spirituel initié par la Contre-Réforme. Ce programme fascinant, entièrement consacré à un chœur de femmes, s’intègre parfaitement à l’acoustique unique de la Sainte-Chapelle, qui amplifie les voix et magnifie la pureté des sonorités. Parmi les œuvres interprétées, figurent des pièces d’Antoine Boësset (1613-1643), qui travailla à l’Abbaye royale de Montmartre en tant que maître de chant des religieuses, un lieu où il demanda à être enterré après sa mort. On y trouve également deux motets de Henry Du Mont, composés lorsqu’il était maître de musique à la Chapelle royale de Louis XIV. Les neuf chanteuses présentes ce soir (six dessus et trois bas-dessus) alternent avec brio les passages choraux et les solos, révélant toute la subtilité d’un répertoire qui les expose. Elles sont accompagnées par quatre musiciens seulement : Mathilde Vialle à la viole de gambe, Thibaut Roussel au théorbe, Mélanie Flahaut au basson et à la flûte à bec, ainsi que Sébastien Daucé à l’orgue. Le concert se clôt par le splendide Miserere de Clérambault, une œuvre probablement destinée aux Demoiselles de Saint-Cyr de Madame de Maintenon. L’Ensemble Correspondances y fait merveille, soulignant avec finesse consonances et dissonances, dans une véritable apothéose sonore.
Le lendemain, c’est un effectif bien plus important qui est réunit – une quinzaine d’instrumentistes et une vingtaine de choristes –, l’ensemble étant renforcé pour l’occasion par huit jeunes Chantres et Pages du Centre de musique baroque de Versailles. Ce programme, intitulé « Dans les pas de Charpentier », met en perspective le compositeur avec ses successeurs, tels que Nicolas Bernier, qui lui succéda à la Sainte-Chapelle, et André Campra, ancien maître de musique de Notre-Dame de Paris. L’extrême précision et la noblesse du chœur brillent particulièrement dans le Motet pour une longue offrande (1698) de Charpentier, à l’orchestration subtile, qui met en valeur les timbres délicats des instrumentistes, notamment les flûtes envoûtantes de Georgia Browne et Matthieu Bertaud. Le Cum Invocarem de Nicolas Bernier (1725), écrit dans un style presque italianisant, révèle l’influence du séjour du compositeur à Rome, tout comme Charpentier quelques années plus tôt. Enfin, le bouleversant De Profundis de Campra (1723), d’une théâtralité saisissante, permet aux solistes de briller, notamment Lysandre Châlon, impressionnant par la gravité et la profondeur dans le récit d’introduction, ainsi que Caroline Weynants, dont la pureté et l’agilité illuminent l’« A custodia ».