A Venise Guglielmo, un ancien Don Juan riche et vieillissant qui voudrait se marier lorgne sur sa femme de chambre Vespina, mais elle aime un domestique, le jaloux Cecchino. Par ailleurs Guglielmo s’oppose au mariage de son fils avec la belle Annetta. Celle-ci, flanquée de son frère Momoletto, qui est passionné de chant, se présente incognito chez le père récalcitrant pour obtenir, par séduction ou ruse, qu’il consente au mariage. Les charmes de la belle agissent et le père acquiesce, sous réserve que la candidate lui plaise. Quand il découvre de qui il s’agit, il ne peut plus refuser son consentement. Un malheur ne venant jamais seul, pendant une académie musicale qui se tient chez lui une vieille maîtresse jadis abandonnée surgit et prétend se faire épouser. Il s’agit en fait d’une mauvaise farce et Guglielmo s’estime heureux de se retrouver seul mais libre.
Telle est la trame de l’œuvre que Gaetano Rossi, le futur librettiste de Rossini, tira en 1797 d’une comédie de Francesco Albergati Capacelli récemment publiée. Destinée à Simon Mayr, compositeur d’origine bavaroise installé à Venise, elle était destinée à renouveler le succès de leur farce précédente, Che originali, qui brocardait un père et sa fille littéralement fous de musique, en déplaçant la passion sur le chant.
Elle commence par une ouverture un rien compassée, qui rapidement s’émancipe, comme une démarche où les premiers pas, menus et serrés, deviennent – passé le coin de la rue – de larges enjambées. Le rythme se fait alors dansant, mutin, se calme soudain comme à la rencontre inopinée de personnes connues, avant de repartir, jusqu’à la maison majestueuse devant laquelle on fait des grâces, on va et vient, on pérore, on lorgne à la dérobée en se souvenant de Mozart, jusqu’au final éclatant – un feu d’artifice ? – amené par une série de crescendos. C’est probablement le meilleur de la musique.
Dans l’appartement de Guglielmo, Vespina est à la fenêtre, ce qui exaspère le suspicieux Cecchino. Tandis qu’il se tarabustent, entre le jeune Valerio, fils de la maison, qui évoque plein de sentiment les charmes incomparables de sa bien-aimée. Cela pique Vespina qui se met à chanter la cavatine de Rosina « Una voce poco fà ». Le ton est donné ; l’œuvre sera truffée de citations d’airs connus, puisque le maître de maison se pique d’aimer le chant et donne des académies de musique. Evidemment les inserts ont été adaptés au public contemporain : nous serions incapables de reconnaître ceux qui amusaient le public à la création.
On entendra ainsi Guglielmo, qui vient de demander à Vespina de l’épouser, l’inviter à le rejoindre sur les paroles de Don Giovanni « Quel casinetto è mio ». Plus tard le frère d’Annetta salue Guglielmo de plusieurs « Reverenza ». Songeuse, Vespina chantonne comme Zerlina, et Valerio rentre à l’aube sur la sérénade de Lindoro. Quand, séduit par Annetta, Guglielmo la demande en mariage, l’invitation au « casinetto » revient.
Les morceaux de bravoure sont à venir pendant l’Académie de musique à laquelle assistent des masques puisque c’est Carnaval. Dans le salon de Guglielmo, Vespina – Maria del Mar Humanes, élève de l’Académie – reprend son cheval de bataille, la cavatine de Rosina, interprétation propre mais d’impact limité. Le jaloux Cecchino, qui a dû promettre de ne plus l’être dans un air brillant, chante à présent « Le femmine d’Italia », l’air de sorbetto d’Haly dans L’Italiana in Algeri et la voix sonore de Ricardo Seguel recueille un juste succès. On sera plus réservé à l’endroit de César Cortès, qui chante Valerio, quand il se lance dans l’air de Ramiro « Si ritrovarla io giuro » qui suit la disparition de Cenerentola tant il semble dépassé par les difficultés. En revanche Annetta – Eleonora Bellocci dont les longues vocalises ont en première partie sidéré Guglielmo dans un air de colère dirigé contre l’inertie de Valerio soulève l’enthousiasme avec le deuxième air de la Reine de la Nuit, pour une émission impeccable de précision, de justesse et d’homogénéité. Momoletto, auquel Filippo Pina Castiglioni a prêté sa fantaisie, jusque dans le travesti grotesque de Marfisa, la prétendue vieille maîtresse de Guglielmo, entonne une chanson vénitienne, La biondina in gondoletta, avant la barcarolle de Giovanni Perucchini arrangée par Rossini dévolue à Filippo Morace.
Adaptée par Davide Strava la mise en scène est-elle fidèle aux intentions de Lorenzo Regazzo, qui l’avait conçue ? Il avait semble-t-il l’intention de se saisir de l’œuvre pour évoquer la Venise actuelle, où l’hédonisme égoïste des uns et le mercantilisme effréné des autres – vendre n’importe quoi à n’importe qui – menacent l’existence même de la ville, entre disparition du savoir-faire ancestral et asphyxie des quartiers populaires. Il faut être bien attentif aux interventions de Mamoletto et à la scène où Annetta apparaît en vendeuse des rues pour reconnaître ce projet. Le décor participait-il de cette conception ? L’omniprésence de bannières aux couleurs de Venise est-elle un cache-misère ou une allusion au repli régionaliste prôné par certains ? La direction d’acteur est souvent dans la convention « au théâtre ce soir », en particulier pour Guglielmo représenté en obsédé obnubilé par la moindre paire de fesses et addict aux pilules bleues. Quand on pense que l’auteur de la pièce l’avait longtemps réservée à un usage privé de crainte qu’en passant dans le domaine public elle perde son caractère aristocratique, on ne saurait lui donner tort.
Nicola Pascoli dirige l’orchestre Passionart en cherchant à donner à la musique toute sa verve, secondé efficacement par le piano d’Andrès Jesus Gallucci. Le rendu musical est agréable, mais en définitive l’œuvre paraît bien anodine, bien académique. Les absents l’avaient-ils deviné ? Pour une fois le théâtre de cour n’était pas plein.