De la rencontre entre Calixto Bieito, metteur en scène sulfureux, et Lady Macbeth de Mtsensk, opéra jugé dégénéré par la censure stalinienne, l’on attendait un choc. Et c’est un raz-de-marée. Une vague de de sexe et de violence qui, submergeant le public, le laisse à la fin de l’opéra pantelant mais debout afin de saluer comme il se doit les artisans de cette réussite.
Ames sensibles s’abstenir, comme on pouvait le supposer, le metteur en scène n’a pas choisi d’édulcorer le propos d’une œuvre que Staline, choqué, exigea de retirer de l’affiche deux ans après sa création. Au contraire, Bieito surligne la crudité des mots et de la musique sans pour autant renoncer à user de symboles. Ainsi, la ferme des Ismaïlov est représentée par une villa moderne sur deux étages, d’un blanc aveuglant, posée sur un plateau recouvert de boue. A la famille du riche marchand cet univers aseptisé tandis que le petit peuple patauge dans la fange. L’irruption de l’ouvrier Sergej dans la vie de Katerina ne sera pas sans conséquences sur ce décor immaculé qu’une équipe de techniciens démembrera entièrement à la fin du 3e acte afin que la maison design devienne prison. Le message se fait politique lorsque, dans le commissariat, un pauvre bougre est violenté par les policiers. Le mot « gay » tatoué au fer rouge sur sa poitrine est sans doute une allusion à l’actualité récente. Poutine et Staline, même intransigeance ? Surtout, la direction d’acteurs sidère par son acuité. Nul n’est laissé à l’abandon, chacun se plie aux situations les plus extrêmes, mettant son corps autant que sa voix au service de cette vision sans concession : pas moins d’une vingtaine de rôles, tous remarquables, sans compter le chœur, impressionnant de cohésion, les techniciens et les musiciens appelés à ajouter à l’orgie sonore sur scène ou depuis les loges.
A ce stade de sa carrière, John Tomlinson n’est plus un Boris exempt de reproches. La tessiture est tendue, l’intonation souvent hasardeuse, l’accident inévitable mais la composition, évidente par sa monstruosité, rend déplacées toutes considérations d’ordre vocal. Sollicité au-delà du raisonnable, Ladislav Elgr n’hésite pas à baisser son caleçon pour mieux enfourcher sa partenaire. Ce Sergej possède une ardeur animale qui n’exclut pas une forme d’élégance. Le chant est à son image : puissant, fiévreux mais racé. Face à ces deux prédateurs, Ausrine Stundyne rend coup pour coup avec une intensité qui la voit, au tomber de rideau, brisée, incapable de répondre ne serait-ce que par un sourire, aux applaudissements enthousiastes de la salle. Si l’interprète achève le spectacle dans un état qui fait craindre pour sa santé mentale, la voix, elle, du début à la fin de l’opéra, n’a jamais flanché, obéissant à toutes les sollicitations de la partition. Ce soprano à l’engagement suicidaire, épanoui et tranchant, dessine une Katerina moins rongée par l’ennui que par une sensualité impérieuse qui la pousse, demi-nue, la nuit à s’arroser d’eau glacée.
Une même volonté d’absolu caractérise la lecture de Dmitri Jurowski. Richesse des climats, science des ruptures, magie des timbres et lyrisme éperdu : l’amour que porte le directeur à cette musique transparaît derrière chaque intention. Les cris, rires et autres nuisances sonores ajoutées qui parasitent l’écoute tout au long de la soirée, jusqu’à gâcher l’effet du formidable tutti orchestral au 4e acte, ne suffisent pas à desserrer l’étreinte d’un Symfonisch Orkest van de Vlaamse Opera transcendé.
Prochaines représentations : 1er, 3 et 6 avril. Plus d’informations.