L’Allegro, il Penseroso ed il Moderato n’est pas l’œuvre la plus connue de Haendel, et pourtant elle mériterait de l’être. Il s’agit d’une ode pastorale en trois parties, composée en 1740 en à peine une quinzaine de jours, où la Gaîté (l’Allegro), joyeux drille profitant de la vie, s’oppose à la Mélancolie (il Penseroso), qui au contraire passe son temps à méditer, sur fond de paysages bucoliques, de chants des oiseaux, des variations de temps et de saisons, bref une approche contenant déjà des éléments préromantiques. Arrive à la fin le Modéré (Il Moderato), qui prône la sagesse, ou la Raison chère à la philosophie des Lumières. L’œuvre est donc passionnante à plus d’un titre, notamment par la richesse et la liberté de l’expression musicale.
Depuis longtemps, William Christie s’est intéressé à cette œuvre, qu’il définit de la manière suivante : « On me demande très souvent s’il y a une pièce que je considère comme « incontournable » ; L’Allegro est l’une d’entre elles, et je peux même dire qu’elle fait partie de mes préférées. » Il l’a souvent exécutée en concert, dans une version légèrement plus ramassée que celle de ses confrères, parfois avec des formations extrêmement réduites, ou au contraire en spectacle total comme avec des versions ballet*, dont celle de l’Opéra Garnier en 2006-2007. Ce soir, il dirige une grande formation, une trentaine de musiciens et une vingtaine de choristes de son ensemble Les Arts Florissants, dont on connaît la grande qualité, tant de chacun des instrumentistes que de l’ensemble choral.
© Photo Jean-Marcel Humbert
Les jeunes solistes adultes sont – si l’on peut dire – également de la maison, puisqu’ils sont tous trois lauréats du Jardin des Voix, académie de formation de jeunes chanteurs baroques. On connaît bien déjà les trois titulaires qui chantent ce soir, et qui confirment au fil du temps leurs excellentes qualités. L’Écossaise Rachel Redmond allie une voix suave et ronde à un art raffiné de la vocalise. Chantant aussi bien Mozart que Purcell ou même Offenbach, son duo avec la flûte solo était à cet égard un enchantement, qui préfigure bien d’autres œuvres ayant utilisé ce même type de dialogue. L’Anglais James Way, de son côté, souligne l’importance du Jardin des Voix, qui dit-il « est indubitablement un programme qui alimente la passion d’interpréter la musique baroque ». Et cela se sent, autant dans sa manière de projeter le son que dans son articulation parfaite. Bref, un interprète qui a trouvé sa voie aussi bien dans ce genre musical que dans Bach et Britten, aussi à l’aise dans l’humour que dans le sentiment. Le Serbe Sreten Manojlović est en parfaite symbiose avec ses partenaires et avec le chef. Sa voix de basse est remarquablement adapté à ce type de répertoire, et la personnalité du chanteur emporte l’adhésion. Son duo avec le cor de chasse était à cet égard étonnant. Enfin, Leo Jamison, du Trinity Boys Choir de Croydon, montre ce qui a fait la réputation internationale de ce chœur, précision, justesse, tenue du son et art de vocaliser, tout ce qui est si difficile à obtenir et qui met ici ce jeune chanteur au niveau de ses aînés.
Donc un concert d’une exceptionnelle qualité, que l’on est heureux d’avoir pu partager avec tous ces interprètes, orchestre, chœur et solistes, qui vivent vraiment la musique.
Tournée mars 2022 : Berlin, Madrid, Compiègne, Saffron Waldon, et Londres.
* Voir le compte rendu de Laurent Bury du DVD du Mark Morris Dance Group.