Le Grand-Théâtre de Dijon se prête merveilleusement à la musique baroque et ses proportions comme son acoustique s’accordent tout particulièrement au programme de ce soir. Les voix, et même les instruments se prêteront ponctuellement à une spatialisation, voire à des déambulations, qui auront le mérite de rapprocher encore un peu plus les interprètes d’un public sous le charme, au sens fort du terme.
© DR
Le programme s’ouvre sur un madrigal du premier livre d’Arcadelt (2). Donné instrumentalement, uniquement en cordes pincées de nos cinq instrumentistes, c’est un régal, avant que les voix de Mariana Florès et de Julie Roset se fassent entendre de la salle. Le ton est donné : intimiste, sensible, poétique. Outre nos deux chanteuses, ils sont cinq : Leonardo García Alarcón dirige depuis sa banquette qui lui permet de jouer du positif, de l’épinette, voire des deux, Marie Bournisien est à la harpe, Mónica Pustilnik joue de l’archiluth comme de la guitare, Quito Gato du théorbe, de la guitare, et de la percussion, quant à Margaux Blanchard elle tient la partie de viole de gambe. La fine équipe au cœur de la Cappella Mediterranea, plus solidaire que jamais, engagée autour de leur chef au charisme exceptionnel.
Au centre du programme, Sigismondo d’India, dont l’œuvre correspond à la transition entre la Renaissance et le baroque. En 2021, Les musiciens de ce soir en avaient enregistré des chansons à une et deux voix. Charles Sigel avait alors rendu compte des deux CD. La dizaine de pièces que nous écouterons, en trois parties, séparées par un air de Cavalli et une pièce instrumentale de Castello, reflète une grande variété d’inspiration, sur d’excellents poèmes de Pétrarque, du Tasse et d’autres. De surcroît, le renouvellement des accompagnements instrumentaux, allant du tutti à deux guitares (Palidetta qual viola) suscite une attention permanente, où le bonheur et l’émotion se conjuguent. Les voix, quasi mimétiques tant leur communion est constante, y sont un parfait régal. Elles sont si familières qu’on fera l’économie de leur description. Contentons-nous de souligner leur art de la narration, l’engagement dramatique, et, surtout la maîtrise d’une ornementation subtile, discrète, qui illumine la ligne – on serait tenté d’écrire « enlumine ». Pour ne retenir que deux exemples, il y a un monde entre la délicieuse pastourelle (« Un di soletto ») que narre Julie Roset avec fraîcheur et allant, et la gravité comme la force du « Piangono alpianger moi le fere… » qui suit, confiée à Mariana Florès, dont le chant est ponctué par les accents instrumentaux douloureux. Les deux voix sont réunies dans le « Su, su, prendi la cetra, o Pastore », élégiaque et savoureux. Le bonheur des interprètes est manifeste et communicatif. Le public, captivé, réserve ses chaleureuses acclamations à nos sept solistes, et quatre généreux bis le récompenseront.
(1) Dont on se souvient de la version que Leonardo García Alarcón réalisa, en 2018, dans une toute autre configuration, même si la majeure partie des interprètes d’aujourd’hui en étaient.