Le feu sacré c’est d’abord celui d’Angers Nantes Opéra et de l’Opéra de Rennes, qui ont commandé et coproduit cette Annonce faite à Marie. Que deux maisons d’opéra de province aient suffisamment foi en leur public pour se saisir de ce challenge est assez audacieux pour être souligné.
Le feu sacré est ensuite celui du compositeur, Philippe Leroux, qui a beaucoup écrit pour la voix mais aura attendu près de quarante ans avant d’oser se brûler à la flamme du répertoire lyrique.
Le texte avait déjà été mis en musique par Walter Braunfelds dans Verkündigung en 1935 tandis qu’Yves Beaunesne en avait déjà proposé une belle version aux Bouffes du Nord il y a quelques années, faisant dialoguer deux violoncelles avec les comédiens pour aller vers « l’opéra de paroles » souhaité par Paul Claudel à la création de sa pièce de théâtre.
Philippe Leroux, quant à lui, fait montre d’une formidable sensibilité, d’une écoute aiguë du texte, pour donner à entendre les passions dévorantes qui consument les acteurs du drame. Il exige énormément des artistes qui empoignent à bras le corps cette partition ambitieuse, mettant à rude épreuves leurs instruments : saturation vocale, grognement, nasalisation, chevrotement, sirène, halètement, jeu sur le vibrato, impureté dans la voix… Le feu sacré et une technique vocale solide sont indispensables pour tenir chaque soir jusqu’au dénouement.
Raphaële Kennedy incarne une Violaine intense qui chemine du feu follet amoureux au rayonnement d’un être aveugle mais éveillé. L’émission, très droite, est d’un naturel remarquable, jamais forcé, tout comme l’unité du timbre en dépit des multiples couleurs exigées et de sauts d’octaves acrobatiques.
Sa sœur, Sophia Burgos campe une Mara incandescente, calcinée par la jalousie et extrêmement touchante. Son français mérite des louanges – c’est une chanteuse portoricaine-américaine – à peine teinté d’un léger accent. Elle joue des couleurs de sa voix depuis la sorcière grinçante jusqu’au soyeux le plus sensuel de la femme amoureuse.
Chez les hommes, Marc Scoffoni (le père) et Charles Rice (le gendre) partagent une même précision dans la prosodie et une projection pleine et charnue qui assoit leur autorité sans nuire à l’expressivité de leur jeu, très habité. Els Janssens Vanmunster et Vincent Bouchot sont au diapason de ce plateau vocal talentueux et investi.
© opéra de Rennes
Parlé, chanté récité, jeu sur sur les onomatopées, les mots répétés, coupés… Le compositeur élargit au maximum la palette de la vocalité pour mieux rendre compte de l’intime des affects des personnages. Célie Pauthe se saisit de cette complexité avec autant de finesse que de pertinence. Sa direction d’acteur extrêmement précise fait que jamais l’œil d’un chanteur ne perd son fil intérieur. Aussi chahutés que soient le texte ou la musique, la continuité psychologique n’est jamais prise en défaut et le spectateur ne peut qu’adhérer à cette histoire de paysans du Moyen-Age foudroyés par l’incandescence de la Révélation. D’ailleurs, la fin du troisième acte – celle du miracle – est tellement intense, épurée, que l’on souhaiterait presque que l’œuvre s’achève ainsi.
La metteuse en scène plante son décor dans un cube gris aux reliefs matiérés crée par Guillaume Delaveau. Ce bel écho aux griffures audibles dans la partition met en valeur les lumières sensibles de Sébastien Michaud qui ne nuisent jamais aux projections vidéo de paysages en noir et blanc. Ces dernières interviennent chaque fois que l’un des protagoniste évoque un départ et connecte subtilement le spectateur au « plus grand que soi ». La couleur est apportée par les costumes d’Anaïs Romand qui jouent sur les oppositions, les complémentaires pour mieux camper les personnages. Ainsi les couleurs des tenues des deux sœurs sont exactement inversées ; le père et le gendre, endossant la même posture à la fin de l’œuvre sont habillés de la même manière…
La parfaite adhésion de tous les participants au projet à une vision profondément cohérente font le succès de cette création qui mériterait une reprise ailleurs dans l’Hexagone.