Rossinienne accomplie, Jennifer Larmore est bien connue du public français pour avoir fait, notamment, ses débuts européens à l’Opéra de Nice en 1986 dans La Clémence de Titus. Elle fut ensuite à Garnier une inoubliable Cenerentola aux côtés de Blake et l’Italienne la plus délurée des années 90 dans l’improbable mise en scène de Serban (dans laquelle un gorille lubrique la poursuivait de ses assiduités simiesques).
En ce début de mois de février, elle était au Grand Théâtre de Provence pour un récital au programme éclectique de Haendel à Strauss en passant par Bizet et Humperdinck. Le programme de salle nous informe que la mezzo américaine est « dotée d’un humour décapant » et l’on suppose que la pratique de Rossini, dont elle a chanté Rosine près de cinq cent fois, a indéniablement contribué à le développer, peut-être aux dépens d’une fibre plus sérieuse. Depuis quelques années, en effet, la cantatrice souhaite aborder des rôles plus dramatiques (La Comtesse Geschmitz de Lulu semble être devenu son cheval de bataille), mais dans le cadre de ce récital aixois il faut avouer que ce registre lui sied beaucoup moins bien. Ainsi, Larmore paraît-elle peu à l’aise dans son rôle de femme fatale lorsqu’elle interprète la Chanson bohémienne de Carmen. Dans Haendel et Gluck, la chanteuse, dotée d’une technique irréprochable, affronte sans problème des pages d’une redoutable virtuosité, mais peine à les sauver d’un certain prosaïsme. Et pourtant, les idées ne manquent pas pour meubler le vaste plateau du Grand Théâtre de Provence : si le « Abendsegen » d’Humperdinck est interprété à la lueur d’une simple bougie, au moment de la Chanson bohémienne, les instrumentistes se transforment en malfrats, lunettes noires et cigarettes au bec. Une idée qui pourrait amuser mais laisse l’auditoire de marbre.
La sauce prend enfin lorsque Larmore aborde des rôles plus légers, notamment un bis drolissime « Art is calling for me », tiré de la comédie musicale de Victor Herbert The Enchantress de 1911, où la cantatrice chante à qui veut l’entendre « I want to be a prima donna ». Simulant une Castafiore prétentieuse, la mezzo caricature à merveille une prima donna capricieuse et elle est soutenue dans son numéro par les cinq instrumentistes qui se prêtent avec plaisir aux extravagances de leur diva. Quel délice aussi d’entendre le « Non piu mesta » de La Cenerentola interprété avec tant d’aisance : Rossini lui va définitivement comme un gant.
Jennifer Larmore est accompagnée par un effectif plutôt inhabituel puisqu’il s’agit d’un quintette à cordes, l’ensemble OpusFive constitué de chefs de pupitre des plus grands orchestres européens comme les Musiciens du Louvre –Grenoble ou encore le Freiburger Barockorchester. Original, probablement économique, le choix d’un quintette à cordes s’avère cependant discutable : les arrangements sont dans l’ensemble bien faits, mais l’ampleur et l’épaisseur orchestrales font évidemment défaut comme dans le lied de Strauss, Morgen, dont l’ardeur crépusculaire est ici maigrement dessinée.