Donnée à Toulon dans la version de la création, La Rondine porte les traces de sa formation compliquée. Le premier et le deuxième acte fleurent l’opérette viennoise que Puccini avait accepté d’écrire, avant d’obliquer vers la comédie lyrique sans récitatifs parlés, et le dernier acte frôle la tragédie, avec le duo de la séparation. Pour intéressante que soit cette situation, où l’homme est la victime la plus éprouvée sur le plan sentimental, elle ne suffit pas à doter l’œuvre d’une personnalité indiscutable, tant les références externes – La Traviata, La Chauve-souris – et internes – La Bohême, Madame Butterfly – sollicitent l’oreille et la mémoire. C’est pourquoi le soin apporté à monter le spectacle prend une importance toute particulière.
C’est chose faite et réussie dans cette production venue de Lucca, la ville natale du compositeur. Les décors suggestifs et les costumes seyants de Rosanna Monti, bien mis en valeur par le éclairages de Jean-Claude Asquié, restituent un univers à la fois Belle Epoque et Art nouveau qui donne l’illusion de voir s’animer les pages de la revue L’Illustration. La mise en scène de Gino Zampieri est des plus sages, mais elle règle avec maestria le désordre apparent du bal chez Bullier ; dommage que dans sa joliesse mièvre la chorégraphie de Giulia Menicucci alourdisse paradoxalement le tableau.
La distribution est globalement satisfaisante. Certes, le chœur semble bien débraillé et la voix de Maria Luigia Borsi, interprète du rôle-titre, échappe à son contrôle, d’où les précautions au premier acte, les éclats du second et la messa de voce finale, plus tentée que réussie. Mais les autres interprètes n’appellent que des compliments, à commencer par le trio des amies de Magda et celui des amis de Rambaldo. Ce personnage, incarné dans la haute stature de Vincenzo Taormina prend une dimension d’élégance qui fait de ce viveur sachant vivre l’héritier des libertins du XVIIIe siècle. Le jeune amoureux de Magda trouve en Marc Laho un interprète sensible, à l’aigu vaillant à souhait. On ne peut en dire autant de Francesco Marsiglia, qui chante Prunier, mais le rôle est moins exigeant, et le chanteur fait preuve d’une présence et d’une autorité scénique indiscutables, donnant vie à ce Pygmalion au petit pied. Sa Lisette, Rosanna Savoia, lui donne la réplique avec une aisance vocale et scénique très plaisante.
A la tête d’un orchestre que l’on a connu plus capable de raffinements Giuliano Carella met tout son talent au service des intentions du compositeur, cherchant à élever l’œuvre, en particulier dans le quatuor du deuxième acte, aux dimensions d’un « grand » opéra. Mais quel que soit le cœur qu’il y met, il ne parvient pas à changer l’eau en vin. On aura beau faire, un emballage et une confection soignés ne peuvent changer la matière !