Au moment où l’incendie d’une usine Seveso aux conséquences redoutées bouleversait la population, l’audacieux chef-d’œuvre de Rossini, mis en scène par le jeune metteur en scène rouennais Pierre-Emmanuel Rousseau, a fait escale à Rouen. La matinée dominicale à laquelle nous avons assistée a fait néanmoins salle comble. Quoi de plus réconfortant que cette œuvre revigorante inspirée de Beaumarchais qui – comme le rappelait Alberto Zedda – la considérait comme une pièce à vaudevilles ? En plus des cinq représentations données au Théâtre des Arts, la chatoyante production, créée à Mulhouse, sera retransmise gratuitement un peu partout en Normandie. Et aussi à guetter sur Fr 3 nationale à une heure tardive.
Principaux atouts de cette luxueuse mise en scène, théâtralisée à l’extrême, qui nous emporte d’emblée à Séville : un intelligent dispositif scénique permettant des changements de lieux fluides – quasi magiques ! De superbes décors imprégnés d’une esthétique à la Goya qui ravit. De magnifiques costumes, en phase avec l’époque de la création, contribuant fortement à la caractérisation des personnages. Sans oublier les élégants vêtements aux soyeuses doublures colorées portés par les chœurs et figurants dont les déplacements, réglés au cordeau, devraient s’améliorer au fil des représentations.
Commençons par saluer l’exceptionnelle prestation de l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, italianisé à souhait par la baguette confiante et sûre d’Antonello Allemandi. Rideau fermé, nous pouvons déguster les subtiles nuances d’une ouverture enivrante – recyclée, comme l’on sait, avec science par le compositeur. Sans jamais couvrir les voix, vents, cordes et percussions, guitare et pianoforte, font briller la partition avec toute la dynamique bouffe qu’elle contient.
Dans le rôle-titre, le baryton canadien Joshua Hopkins campe habilement un Figaro pieds nus, tatoué, quelque peu voyou. La voix est chaude et solide. L’engagement dramatique est manifeste. La rouerie de cet immense personnage est bien présente. Manquent cependant le rythme et l’articulation débridés que l’on attend d’un chanteur rompu au chant rossinien.
Attendu dans ce rôle à l’Opéra de Paris début 2020, le jeune ténor espagnol Xabier Anduaga interprète Almaviva avec prudence. Ses notes allégées font merveille tandis que le haut médium bien projeté manque encore de velours. À la fin de la représentation, on le sent nettement plus détendu et sûr de soi.
Almaviva Xabier Anduaga © Jean Pouget
Excellent acteur et habile chanteur, le baryton basse Mirco PalazzI (Basilio) formé à Pesaro tire tous les effets du fameux air de la calomnie. Il se montre également remarquable en faux professeur de musique. Le Bartolo tatillon et tenace de Riccardo Novaro et le Fiorello obséquieux d’Antoine Foulon complètent la distribution masculine avec compétence. Quitte à distraire parfois du chant, Pierre-Emmanuel Rousseau a fait de Berta – en dehors de son air – un personnage hautement comique. Les applaudissements recueillis à la fin du spectacle par son interprète Julie Pasturaud en témoignent.
Enfin, dominant de loin la distribution rouennaise, la mezzo soprano Lea Desandre, révélation des Victoires de la musique 2017, fait dans sa prise de rôle de Rosine des débuts étincelants. La légèreté de ses vocalises, la maîtrise de sa ligne de chant, son timbre agréable, ses graves audibles mais sans lourdeur, sa diction soignée ainsi que la grâce et l’espièglerie de l’actrice se prêtant à tous les jeux de scène requis par le metteur en scène en font la reine du spectacle.
NB : Comme pour Madame Butterfly la saison dernière, l’Opéra de Rouen Normandie propose une retransmission gratuite samedi 5 octobre à 18 heures en plein air place de la Cathédrale à Rouen et à La Halle à Louviers, au théâtre à Lisieux, à la Halle médiévales à Saint-Pierre-sur-Dives, au Quai à Argentan, à la salle de spectacle à Conches-en-Ouche, à L’Arsenal à Val-de-Reuil, au Rex à Dieppe, à l’Auditorium à Bagnoles-de-l’Orne, au Piaf à Bernay, à l’espace arts et cultures à Yquebeuf, aux Aux Arches Lumières à Yvetot, au Grand Large à Fécamp, aux Arts à Montivilliers, au Palace aux Andelys et Grand Mercure à Elbeuf