Il est 20h15, les derniers spectateurs arrivent grossir les rangs d’une salle relativement comble, quand Marie-Nicole Lemieux apparaît, sobrement vêtue mais avec une belle peignure du dimanche, suivie par son fidèle et jovial compagnon de scène, Daniel Blumenthal.
Après quelques petits raclements de gorge – il fait apparemment un peu frette sur le plateau – l’heure est la concentration et pour cause, on démarre fort : Du bist vom Schlaf erstanden … c’est sûr, avec Stille Tränen, on n’a pas vraiment le temps de s’acclimater. L’entrée en la matière est peut-être un peu trop directe, mais elle a le mérite d’être osée.
Pour compléter cette substantielle mise en bouche, trois Lieder extraits des Myrthen s’enchaînent dans la même atmosphère : la bride est encore un peu serrée mais les repères s’installent et la posture comme la voix s’assouplissent. Le pianiste est extrêmement attentif aux moindres intentions de la chanteuse.
Les Frauenliebe und Leben, comme au disque, montrent un travail profond et extrêmement précis sur le texte et la musique. Sur la scène, Marie-Nicole sait comment faire oublier le côté un rien désuet du cycle : complètement captivé, on retient son souffle jusqu’aux dernières notes…
On aurait même apprécié le piano ouvert avec la grande canne : la voix, ample et généreuse, aurait alors bénéficié d’un enrobage encore plus riche sans craindre l’écrasement, car d’une part, même ses pianissimi les plus intimes raisonnaient librement dans la salle, d’autre part, Daniel Blumenthal, très à l’écoute, maîtrisait admirablement la balance du duo.
Après la pause, un premier triptyque de mélodies de Chausson conquiert définitivement le public : Marie-Nicole Lemieux, visiblement plus détendue, montre une fois de plus comme elle excelle dans ce répertoire français qu’elle affectionne tout particulièrement. L’Albatros, idéal pour déployer des graves impressionnants et des aigus chatoyants, remporte un franc succès à l’applaudimètre. La palette de couleurs utilisée par les deux artistes pour les trois mélodies des Fêtes Galantes de Debussy est tout bonnement idéale.
Marie-Nicole Lemieux se montre alors encore plus complice avec son pianiste : pendant les applaudissements, alors que, sentant le public réceptif, elle lui fait comprendre qu’on peut rester sur scène, Daniel Blumenthal lui indique qu’ils doivent regagner les coulisses, pour aller chercher la suite des partitions… et Marie-Nicole de partir dans un grand éclat de rire terrien !
Le très populaire A Chloris de Reynaldo Hahn charme un fois de plus l’audience qui, après les dernières mélodies qui clôturent élégamment ce récital, en redemande encore et encore…
Marie-Nicole qui à l’air d’adorer ça, ponctuant la présentation des bis par des coquins « mais puisque vous êtes insistants… », nous offre tour à tour L’heure exquise, superbement planante, Die Forelle avec mimes hilarants à l’appui, Dein blaues Auge « car si vous le permettez, je vais m’faire un p’tit plaisir » et enfin un au revoir espiègle avec Vergebliches Ständchen.