A l’image du précédent concert donné par l’Orchestre National de France, la direction du Festival d’Automne et celle de Radio France font dialoguer avec soin l’œuvre de Claude Vivier et celle de compositeurs du grand répertoire. Ce soir, c’était au Chant de la Terre de Mahler que faisait face Siddhartha, précédé d’une brève œuvre de Murail.
Ce n’est pas la première fois que le Philharmonique propose des pièces solistes en début de concert. Si le pari est risqué car rapidement décevant, il faut reconnaître que cela fonctionne ce soir. Les arcades épurées de Unanswered Questions de Tristan Murail sont admirablement servies par Anne-Sophie Neves, et annoncent le goût prononcé de Vivier pour la mélodie.
Inspiré du roman éponyme de Hermann Hesse, narrant la quête spirituelle de Bouddha, Siddhartha est l’un des nombreux projets fous du compositeur québécois. L’orchestre symphonique ordinaire est ici divisé en huit groupes d’instruments, brisant ainsi le schéma classique du concert et ouvrant la voie à de nouvelles combinaisons de timbres. L’on doit cependant s’avouer un peu déçu une fois la demi-heure de musique écoulée. Après un début explosif, le flux de note semble ne jamais s’interrompre, et finit par faire paraître le temps long. En cause est probablement la direction, certes précise, mais un peu expéditive d’Olari Elts, qui ne fait pas ressortir suffisamment les contrastes que la partition semble porter en elle.
Malheureusement, ce trait de caractère ne fait que se confirmer dans le Chant de la Terre, à l’instar du « Trinklied vom Jammer der Erde », où les éléments à dessein hétéroclites de l’orchestration mahlérienne peinent à se rassembler en un ensemble cohérent et fluide. « Der Einsame im Herbst », dirigé au pas de charge, nous a rarement paru aussi rigide. Quelque chose semble se passer dans « Von der Schönheit », où l’on retrouve pour un instant les contrastes saisissant qui font le souffle de cette page orchestrale, mais le soufflé ne fait que mieux retomber dans le dernier mouvement. Malgré de magnifiques interventions solistes des musiciens de l’orchestre (flûte et hautbois principalement), c’est avant tout un sentiment de trop peu (ou trop froid) qui domine cette interprétation.
On comptait sur les voix pour se rattraper, mais ce n’est pas nécessairement mieux. Michael Schade a beau avoir enregistré l’œuvre avec Boulez, ce qui pouvait passer au disque il y a plus de quinze ans n’est plus convaincant aujourd’hui en concert. Malgré un « Von der Jugend » pas trop mal mené (car le moins exigeant des trois), on reste globalement sur sa faim, surtout dans le premier mouvement, où la voix ne passe l’orchestre qu’à de très rares occasion. La projection du texte ampoulée, servant probablement à compenser un timbre aigre et trop menu, n’a pour résultat que de le mettre en retard par rapport à l’orchestre, et de l’obliger à des respirations anarchiques un peu partout.
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Il est assez aisé pour Alice Coote d’émerger de ce tableau pas franchement reluisant. Il faut concéder à la mezzo un timbre très seyant pour un Mahler tardif : pas trop ample, mais suffisamment à l’aise pour se frayer un chemin au travers des longues phrases lyriques qui parsèment la partition. Par opposition aux très beaux graves et au superbe médium, l’aigu nous paraît seulement un peu maigre, sans que cela altère pour de bon une prestation musicale très aboutie. De quoi pouvoir rentrer chez soi sans céder complètement à la frustration.