Permettre à de jeunes chanteurs d’affronter le public dans un répertoire pour lequel ils se sentent des affinités est une constante à Bad Wildbad comme dans toute manifestation soucieuse d’assurer sa pérennité. En choisissant de confronter la promotion de l’Académie Belcanto au Comte Ory , la direction du festival n’a pas choisi la facilité, car aucun d’eux n’est francophone. On le devine, cela entraine des disparités dans la clarté de l’élocution qui reste pour certains un objectif éloigné. Dans ces conditions, une partie du plaisir que donne l’alliance du texte et de la musique – et l’on sait que pour l’obtenir Rossini intervint sans relâche sur le texte au point que Scribe s’en courrouça et retira son nom de l’affiche – s’évapore sans recours. Malgré sa bonne volonté manifeste et sa voix profonde, la basse Shi Zong n’a pas l’articulation fluide qui lui permettrait de rendre justice aux couplets du Gouverneur. Nettement plus compréhensibles, le baryton Roberto Maietta qui apporte à Raimbaud une verve juste et le ténor Gheorghe Vlad dans le rôle-titre. Mais pour ce dernier, qui est plus exposé, les scories de la diction semblent plus nombreuses et obèrent une prestation vocale décevante. Il lui faut se chauffer longtemps pour atteindre sans trop de peine les notes les plus élevées, mais même alors son chant ne donne pas l’illusion si nécessaire de la facilité, et les mimiques à la Oliver Hardy n’y changent rien.
Karina Repova (Isolier) Sara Blanch (La comtesse) Mae Hayashi (Ragonde) © Paul Secchi
Leurs partenaires féminines affrontent les mêmes difficultés mais les résolvent nettement mieux ! Le rôle d’Alice, proche de la figuration, ne met pas Serena Saenz Molinero en danger. Mae Hayashi se lance dans celui de Ragonde avec la détermination qui caractérise ce Tanagra dont la fragilité apparente rend plus surprenants les éclats et les graves de sa voix. La comtesse Adèle de Sara Blanch a le charme physique et vocal qui convient au personnage. Mais nous avons préféré, peut-être à cause d’un timbre plus personnel, le page de Karina Repova, dont la voix souple et longue et la silhouette élancée devraient lui assurer un bel avenir dans les rôles travestis.
Pas de mise en scène, mais une mise en espace signée Nicola Berloffa. Elle ne nous a pas semblé des plus pertinentes ni des plus soignées. Il est vrai que la probable pénurie des moyens, à en juger par les costumes, n’a pas contribué à la clarté du spectacle. La tribune du prédicateur évangéliste amuse mais elle ne s’accorde pas avec la retraite ostensible d’un ermite. Habiller tous – ou presque – les pèlerins en curés et bonnes sœurs survoltés par la présence proche du saint insiste pesamment sur une intention anticléricale de l’œuvre. En admettant qu’elle existe, car la satire des ascètes paillards est aussi vieille qu’eux, ici le mauvais sujet n’est pas prêtre ! Et c’est sa nature d’adolescent débauché, graine de Don Giovanni, qui lui inspire la supercherie, et non une intention manifeste des auteurs de dénigrer les représentants de la religion. Vouloir faire dire ou démontrer quelque chose au Comte Ory est une erreur, comme de traiter de manière explicite les rapprochements du deuxième acte dans la chambre de la comtesse. Revendiquer le droit de tout montrer parce qu’aujourd’hui les tabous sont tombés est aller à contresens de l’œuvre.
L’insatisfaction se transforme en déception quand la direction de Luciano Acocella et l’orchestre restent éloignés de la légèreté essentielle de la musique. Les effets sonores, l’orage, c’est pour rire ; il faut un contrôle constant et serré du volume, sinon les instruments actuels transforment cette délicate architecture en structure massive. C’est malheureusement ce que nous avons perçu. Manque de répétitions ? Fatigue de l’un et des autres ? Peut-être la barre était-elle posée trop haut ? Le Comte Ory méritait mieux.